Huit ans après Girls, Lena Dunham revient avec Too Much, mini-série de 10 épisodes qui s’attaque au genre surexploité de la rom-com, espérant le dépoussiérer par l’anti-conformisme qu’on lui connaît : amour sans glamour, corps réalistes, personnages féminins provocateurs. La promesse est alléchante : que vaut ce retour ?
Jessica Salmon (Meg Stalter), trentenaire exubérante et productrice de télévision à New York, larguée après huit ans de vie commune avec Zev (Michael Zegen), débarque à Londres pour se reconstruire. Elle y rencontre Félix (Will Sharpe), un musicien aussi tristement fade qu’un thé pas suffisamment infusé, censé raviver la flamme de la comédie sentimentale.
Loin d’être la satire acide qu’on attendait de Dunham, elle ne révolutionne ni la rom-com ni la représentation féminine.
Dès l’entrée en scène, Jessica affiche la couleur : fantasque, bruyante, hilarante, cynique, grande consommatrice de romances austeniennes et porteuse de pyjamas chatoyants. La série multiplie les clins d’œil aux love stories british, jusque dans les titres des épisodes, mais Dunham cherche surtout à décaper ces références, affichant une volonté d’utiliser la rom-com comme un terrain de jeu à désosser. Ainsi, pour faire face à la rupture, Jessica s’enregistre tout au long de la série en vidéo, s’adressant à Wendy (Emily Ratajkowski, mannequin castée à dessein), la nouvelle fiancée de Zev. On y savoure des monologues en voix off acerbes “You stole what was mine and you forced me to move into an intergenerational ‘Grey Gardens’ hell of single women and one hairless dog. ” débite-t-elle, alors qu’elle a dû poser ses valises chez sa grand-mère, une veuve aux idées bien arrêtées. Aussi entourée de sa mère accro au développement personnel et de sa sœur divorcée (interprétée par Dunham elle-même), Jessica baigne dans un environnement aussi bruyant que dysfonctionnel. Ce huis clos féminin générationnel, où chacune porte ses traumatismes, apporte autant de soutien que d’étouffement, et la pousse à traverser l’Atlantique.
Le traumatisme n’est pas anecdotique, il irrigue toute la série. Dunham pose les bonnes images et les bons mots sur les maux relationnels de toute une génération : la peur de l’engagement, l’influence des médias sur la perception de la réalité, la quête infinie d’une herbe plus verte, la recherche permanente d’une attention dont on n’admet pas avoir besoin… et la difficulté à rester authentique et audacieuse dans un tel tumulte. L’ex de Jessica n’est en effet pas seulement un rabat-joie : il maîtrise l’art du gaslighting, manipulation perverse qui asphyxie l’autre à petit feu afin de se sentir exister. En tant que femmes, on nous reprochera sans cesse de prendre de la place, mais nous avons le droit d’être – too much ou non. Et Jessica s’y est abîmée, réduite en miettes par les reproches permanents sur son exubérance, sommée de rapetisser pour rassurer la masculinité fragile de son compagnon. À cet égard, l’antagoniste est très bien construit : il incarne aisément cette catégorie d’hommes dont la constance dans la médiocrité forcerait presque l’admiration. Comme on l’attendait de la part de Dunham, le féminisme et les traumas générationnels et relationnels s’affichent sensiblement en filigrane. Si la rivalité féminine grince, la sororité gagne, jusqu’à la fin. Malgré les tensions féroces entre Jessica et Wendy, la série opte — de justesse — pour la réconciliation et l’apaisement.
Malheureusement, tout est ramené à la nécessité d’un happy ending, avec Félix en Prince Pas Charmant, et la série est déjà trop profondément tombée dans les travers qu’elle prétendait justement déconstruire. Félix, archétype sur pattes, n’existe que pour servir de prétexte à l’évolution de Jessica. Son histoire, révélée trop tard, rend le personnage frustrant – on aurait aimé s’y attacher avant le 7e épisode. Si Lena Dunham nous a fait croire à une ambition de dissoudre les schémas classiques de la romance, la narration parle d’elle-même : l’idéal reste de trouver l’homme pour former un couple.
En effet, la narration patine. Construite en flashbacks mal répartis, elle ne dévoile la profondeur de Jessica et de sa rupture que tardivement, diluant l’empathie du spectateur. Résultat : Jessica agace, oscille entre cris et pleurs, et l’on se demande si c’est le jeu de Stalter ou la mise en scène de Dunham qui pousse les curseurs à saturation. L’objectif de montrer des femmes débordantes d’émotions finit par tomber dans la caricature et la cacophonie, éloignant l’identification du spectateur. Les seconds rôles, gavés de clichés culturels ou générationnels (du quarantenaire privilégié en crise à l’assistant gay logorrhéique en passant par l’ex-petite amie nymphomane), sont souvent plus irritants que réellement subversifs.
Satisfaction ou déception ? Le bilan est mitigé. Too Much est à l’image de son héroïne : messy, attachante parfois, irritante souvent. Loin d’être la satire acide qu’on attendait de Dunham, elle ne révolutionne ni la rom-com ni la représentation féminine. Reste une série à regarder distraitement en cas de dimanche pluvieux, ou pour s’instruire sur le gaslighting. Dunham sait nommer la douleur et filmer la confusion des sentiments, mais à vouloir tout déconstruire, elle finit par s’égarer dans le bruit.
SHOWURUNNEURS ET RÉALISATEURS : Lena Dunham et Luis Felber NATIONALITÉ : États-Unis / Royaume-Uni GENRE : Comédie / Comédie romantique AVEC : Meg Stalter, Will Sharpe, Michael Zegen DURÉE : 10 x 40min DIFFUSEUR : Netflix SORTIE LE 10 juillet 2025