Tiger Stripes : la puberté et l’émancipation rageuses

Premier long métrage de la cinéaste malaisienne Amanda Nell Eu, présenté en compétition à la Semaine de la Critique, Tiger Stripes constitue une proposition de cinéma intéressante mais qui aurait mérité d’être un peu plus resserrée.

Le long métrage s’ouvre sur un groupe d’adolescentes vivant dans un petit village de Malaisie. Parmi elle, Zaffan, 12 ans au caractère bien trempé, défiant à la fois l’autorité de son école et celle de sa mère, comme le souligne les scènes d’ouverture. Le sujet traité en soi ne paraît pas bien nouveau : en pleine puberté, Zaffan réalise que son corps se transforme, cela l’angoisse (ses camarades également) et entraîne une série d’événements étranges.

Ce qui séduit dès les premières images, c’est le fait que la cinéaste inscrive son film dans une multitudes de genres, passant aisément du body horror au fantastique, sans oublier l’humour propre à certaines œuvres sur l’adolescence.

Ce qui séduit dès les premières images, c’est le fait que la cinéaste inscrive son film dans une multitudes de genres, passant aisément du body horror au fantastique, sans oublier l’humour propre à certaines œuvres sur l’adolescence. Lors de sa présentation sur scène, Ava Cahen, déléguée générale de la Semaine de la Critique, a précisé que Tiger Stripes se situait quelque part entre Junior, court métrage de Julia Ducournau (datant de 2011) et Tropical Malady de Apichatpong Weerasethakul, récompensé d’un prix du Jury sur la Croisette en 2004. A la vision de l’œuvre, ces deux références paraissent évidentes. L’audace, assurément, réside ici dans le fait que ce genre de film puisse exister aussi dans le cinéma malaisien. Du cinéma d’horreur, on retiendra les scènes gores de l’ongle arraché, de la peau qui gratte et des rougeurs qui vont de pair, la perte de cheveux, ou plus globalement la transformation physique de Zaffan : autant d’éléments que l’on avait pu voir à l’écran dans Grave notamment. Mais Amanda Nell Eu choisit dans le même temps la piste du fantastique, renforcée par un travail minutieux sur les sons (multipliant les sources sonores et jouant sur l’aspect suggestif), ainsi que sur la photographie, très travaillée, caractérisée par de nombreux jeux de lumière.

Par le recours à l’horreur et au fantastique, la cinéaste traite ainsi de la puberté féminine, moment important de transition entre l’adolescence et l’âge adulte, mais également de l’image que cela renvoie.

Par le recours à l’horreur et au fantastique, la cinéaste traite ainsi de la puberté féminine, moment important de transition entre l’adolescence et l’âge adulte, mais également de l’image que cela renvoie. L’héroïne est choquée par ce qu’il lui arrive, ses camarades et les adultes qui l’entourent le sont tout autant voire plus. L’une de ses copines, Farah, lui rappelant à plusieurs reprises que c’est « dégueulasse » et anormal, faisant de Zaffan une marginale (et à ce titre, elle est mise à l’écart et moquée). A partir du moment où Zaffan découvre qu’elle a ses règles, un soir dans son lit, son quotidien (en plus de son corps naturellement) change de manière violente et soudaine. Une rage en elle semble se réveiller, faisant écho à la fois physiquement mais aussi mentalement à la figure du tigre (évoqué dans une scène filmée par un portable et diffusée via les réseaux sociaux), qui d’ailleurs se retrouve dans le titre du long métrage. Ce réveil sonne comme un appel à l’émancipation féminine au sein d’une société toujours patriarcale et profondément religieuse. Il convient de signaler que, pour étayer son propos, Amanda Nell Eu brosse un portrait des hommes peu flatteur. Ces derniers sont soit très passifs (c’est notamment le cas du père de Zaffan), soit complètement dépassés ou grotesques (le personnel de l’école ou ce personnage de « Docteur » qui est censé vaincre les mauvais esprits invoqués pour expliquer le comportement des écolières). Tiger Stripes est donc un film qui n’hésite pas à dénoncer les fondements de la société malaisienne. La dernière scène (en écho à celle du début) pourrait à elle seule résumer cette œuvre courageuse : une danse libératrice, célébrant « le monstre » qui est en soi.

Pour autant, et malgré des qualités évidentes, Tiger Stripes souffre par moments, d’une baisse de rythme (et de longueurs), convoque sans doute de manière un peu trop évidente les références et pâtit d’un manque de crédibilité au niveau de certains effets liés à la transformation physique.

Pour autant, et malgré des qualités évidentes, Tiger Stripes souffre par moments, d’une baisse de rythme (et de longueurs), convoque sans doute de manière un peu trop évidente les références et pâtit d’un manque de crédibilité au niveau de certains effets liés à la transformation physique. Le traitement de l’ensemble manque probablement aussi de subtilité et l’on ressort un peu frustré de ne pas avoir davantage ressenti le trouble que subit la jeune fille. Mais l’expérience mérite le détour. Saluons alors cette envie de cinéma et cette énergie communicative, à l’image de la musique tonitruante du film.

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RÉALISATEUR : Amanda Nell Eu
NATIONALITÉ : Malaisie, Taïwan, Singapour, France, Allemagne, Pays-Bas, Indonésie, Qatar
GENRE : Fantastique, comédie, Drame
AVEC :  Zafreen Zairizal, Deena Ezral, Piqa
DURÉE : 1h35
DISTRIBUTEUR : Jour2Fête
SORTIE LE  13 mars 2023