Darren Aronofsky a toujours divisé. Ce n’est certainement pas avec The Whale que ce phénomène va s’arrêter. Pourtant, si l’on examine chacun de ses huit films, ils sont éminemment connectés entre eux et outrageusement personnels. Aucun ne paraît céder à la pratique courante de la commande, bien utile pour soulager certains créateurs des pannes d’inspiration. Après Mother! qui semble être avec le recul une synthèse de la période baroque de son auteur, The Whale arbore les oripeaux d’une pause bienfaitrice, un peu comme The Wrestler après l’apogée lyrique de The Fountain. Pour Aronofsky, après une débauche d’effets, il s’agit de revenir à la quintessence de sa mise en scène, à ses fondamentaux : se mettre à l’écoute des autres, d’un Autre qui pourrait être en définitive lui. The Whale, adapté d’une pièce de théâtre de Samuel D. Hunter, semble pourtant à l’opposé de tous les films d’Aronofsky, se passant dans un deux-pièces, avec un personnage principal qui ne bougera pas, en raison de sa surcharge pondérale. Mine de rien, progressivement, sans faire appel le moins du monde à des ouvertures vers l’extérieur, (hormis quelques plans de plage qui ressemblent à l’équivalent de la fin de Barton Fink des Coen), The Whale tisse des liens profonds avec un grand nombre de films d’Aronofsky : un lieu fermé comme la maison de Mother!, des résonances bibliques ou mythiques comme Noé ou The Fountain, une seconde chance qui sonne aussi comme le glas de l’autodestruction comme dans The Wrestler ou Black Swan.
Pendant cinq jours, Charlie, professeur de lettres, reclus chez lui, en raison d’une surcharge pondérale survenue après le deuil de son compagnon, va recevoir les visites de proches et d’inconnus, et tenter de nouer un ultime lien avec sa fille qu’il n’a pas vue depuis des années.
Du syndrome du confinement, Darren Aronofsky a fait un film parfois bouleversant, souvent insoutenable, mais qui, au moins, ne laisse pas indifférent.
Pour beaucoup, Aronofsky, c’est le montage cut de Requiem for a dream, l’outrance romantique de The Fountain, les mouvements de caméra circulaires de Pi. Quand ce metteur en scène se contraint à la sobriété, il ne reste plus grand’chose de l’Aronofsky baroque, présent dans la plupart de ses films. Il ne reste qu’un metteur en scène à l’écoute de ses personnages. Il a fallu donc beaucoup de masochisme et d’autopunition pour que Aronofsky se force à regarder pendant deux heures un phénomène d’obésité. Au départ, il est difficile pour le spectateur de faire abstraction des prothèses qui aident le remarquable Brendan Fraser pour composer ce personnage arrivé au bout des limites de son corps. Pourtant, l’intensité de l’interprétation et de la mise en scène suffit pour occulter des effets spéciaux qui finissent par passer au second plan.
Aronofsky respecte une structure strictement théâtrale, en découpant son film en cinq jours, autant d’actes qui verront s’entrecroiser un étudiant, une infirmière, son ex-femme et sa fille. Peu de personnages, peu de chapitres ; Aronofsky n’a guère besoin de davantage pour planter le décor d’un drame existentiel. Certes, ce professeur de lettres qui demande à ses étudiants d’être avant tout sincères, c’est bien sûr Aronofsky qui voudrait retourner à l’authenticité de son désir (et/ou besoin) de créer, et de parvenir à une oeuvre dépourvue de concessions. S’il se prive de ses soi-disant plus grands atouts, c’est pour prouver qu’il en possède bien d’autres, entre autres un talent de directeur d’acteurs qui met en valeur Samantha Morton (enfin retrouvée), Sadie Sink (réinventée), Hong Chau (magnifiée) et bien sûr Brendan Fraser (immense dans tous les sens du terme), tous acteurs qui ont été rarement aussi intenses, ainsi qu’une maîtrise de la scénographie dans un espace très réduit.
Néanmoins, s’il a souhaité se confronter à ce sujet, ce n’est pas tant pour rendre hommage aux victimes de l’obésité, (même si ceux qui auront vu le film ne regarderont peut-être plus ces personnes de la même façon), ni pour se donner une ultime chance de rédemption artistique. Non, en fait, tout comme dans Mother!, il a souhaité pousser un cri d’alarme par rapport à la tragédie environnementale que nous traversons, The Whale, cf. la dissertation sur Moby Dick d’Herman Melville, est en fait une métaphore pour tous ceux qui ont traversé le confinement et qui auraient pu basculer dans la folie de l’anéantissement. Ne plus rien faire, ne plus bouger, se gaver de junk food et attendre la mort, tout le monde a pu être traversé, ne serait-ce que quelques secondes, par cette tentation d’auto-destruction programmée. Darren Aronofsky en a fait un film parfois bouleversant, souvent insoutenable, mais qui, au moins, ne laisse pas indifférent.
RÉALISATEUR : Darren Aronofsky NATIONALITÉ : américaine GENRE : drame AVEC : Brendan Fraser, Sadie Sink, Hong Chau, Ty Simpkins, Samantha Morton DURÉE : 1h57 DISTRIBUTEUR : ARP Sélection SORTIE LE 8 mars 2023