The things you kill : une tragédie shakespearienne

Le film a obtenu le Prix du Jury et le Prix de la Critique au Festival du film policier de Reims de 2025. Mais c’est à un polar singulier que nous avons affaire ici, un polar métaphysique où il est question de mort et de culpabilité. Ali est professeur spécialisé dans la traduction à l’université d’une ville de Turquie. Il a quitté son pays pour apprendre la littérature aux Etats-Unis pendant quatorze ans. Mais son statut est précaire: en effet, son cours ne doit pas être renouvelé au semestre suivant, faute de budget. Il est marié à Hazar, vétérinaire et femme indépendante. Leur souhait à tous les deux: avoir un enfant ensemble. Oui, mais les analyses démontrent qu’Ali a un taux de fertilité trop bas. Il le cache d’abord à sa femme. Honte de l’homme censé être le pilier fondateur de la famille et à qui il est interdit de montrer aucun signe de faiblesse dans une culture à la structure patriarcale forte.

Le film oppose le personnage d’Ali à celui de son père Hamit dont il est le pendant négatif. Ce dernier se soucie peu du confort de son épouse pour lequel il refuse de faire réparer la tuyauterie, obligeant celle-ci à se traîner dans le jardin pour accéder aux toilettes, alors même qu’elle est souffrante et se déplace à l’aide d’un déambulateur. Suite au décès de cette dernière, Ali apprend de sa sœur que Hamit avait déjà battu sa femme en lui donnant des coups à la tête. Le fils soupçonne dès lors son père d’être la cause de de sa mort. Le film opère une critique du masculinisme toxique, cause de maltraitances chroniques à l’encontre des femmes au sein d’une société fondamentalement patriarcale. Le statut professionnel, marital et même biologique d’Ali en fait un personnage fragile, subissant les reproches répétés de son père à son encontre. Tandis que Hamit joue le rôle de l’homme sans pitié pour son épouse, rabaissant son fils et reprochant aux femmes de pleurer la mort de sa femme, représentant en somme l’homme dans toute sa puissance mâle et dominante voire écrasante sur les autres.

Le film opère une critique du masculinisme toxique, cause de maltraitances chroniques à l’encontre des femmes au sein d’une société fondamentalement patriarcale.

Ce n’est qu’à la moitié du film que celui-ci prend un tournant résolument fantastique. Ali décide d’embaucher un jardinier pour s’occuper du terrain avec ses arbres et son chien qu’il possède dans la plaine. Et c’est avec le concours de ce dernier qu’il va décider de mettre en route une vengeance sanglante. Ce dernier s’appelle Reza et est d’emblée placé sous le signe du mystère: venant de nulle part, ses réponses se font vague aux questions que lui pose Ali en guise d’entretien d’embauche. Le processus de substitution se fait soudainement sans qu’aucun des personnages ne fasse de remarques. Nous plongeons alors dans un monde parallèle où Reza devient l’alter ego d’Ali et agit à sa place, recouvrant une scission fondamentale entre la conscience empêtrée dans ses doutes d’un côté, et l’action déterminée de l’autre.

C’est bien ainsi que les choses se déroulent, comme si Ali avait eu besoin, pour un temps donné, que quelqu’un d’autre accomplisse à sa place sa volonté en faisant preuve de la détermination qu’il n’a malheureusement pas en lui – au moment crucial de l’acte de vengeance, c’est bien Reza qui prends les rênes comme s’il assumait déjà le rôle d’Ali. Un texte, c’est un peu comme une scène de crime dit Ali à ses étudiants et c’est effectivement à travers les indices laissés par le réalisateur que l’on peut reconstituer l’histoire du film: la masculinité en question, la place du garçon dans la famille, la vengeance et son mobile, comment s’accomplir en tant qu’homme. Reza est bien l’homme fort dont Ali a besoin et peut s’évanouir – et Ali de réintégrer son rôle – une fois le (sale) boulot effectué. On en revient à la peur que le fils ressent à l’égard de son père. Le film est de ce point de vue éminemment œdipien, en même temps qu’une satire de la société patriarcale. Reste le sentiment de culpabilité qui vient frapper à la porte sous la forme d’un fantôme auquel devra encore échapper le personnage. Un film étrange et inquiétant, quelque peu alambiqué, au rythme lancinant sur des thèmes pourtant bien ancrés dans la société moderne de notre époque.

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RÉALISATEUR : Alireza Khatami
NATIONALITÉ :  Turquie, France, Pologne, Canada
GENRE : Thriller, fantastique
AVEC : Ekin Koç, Erkan Kolçak Köstendil, Hazar Ergüçlü
DURÉE : 1h54
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 23 juillet 2025