Après le triomphe public et critique de The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson a moins fait l’unanimité avec ses trois films suivants, L’Ile aux Chiens, The French Dispatch et Asteroid City. Excès de virtuosité, exercices de style galopants, excentricité trop affichée. Le fan fervent des films d’Anderson qui avait applaudi de Rushmore (voire Bottle rocket) à Moonrise Kingdom, attendait un possible infléchissement de cette ligne qui finissait, à force de développer des effets mécaniques et surchargés, par dégager nettement moins d’émotion qu’auparavant. The Phoenician Scheme ne reconciliera certes pas les détracteurs de Wes avec son style virtuose et flamboyant mais s’annonce comme un pas certain vers la bonne direction, celle de plus de lisibilité, de simplicité et de linéarité.
Venant de réchapper miraculeusement d’un accident a priori mortel d’avion, le riche homme d’affaires Zsa-zsa Korda désigne sa fille unique, Liesl, une religieuse, comme seule héritière de son patrimoine, bien qu’il ait déjà neuf fils adoptés. Il décide de la tester comme héritière potentielle, en essayant de régler ses diverses affaires plus ou moins illégales et mafieuses. Accompagnés par Bjorn, fidèle tuteur des enfants adoptés et secrétaire administratif de Zsa-zsa Korda, ils deviennent rapidement la cible de magnats intrigants, de terroristes étrangers et d’assassins déterminés.
The Phoenician Scheme ne reconciliera certes pas les détracteurs de Wes avec son style virtuose et flamboyant mais s’annonce comme un pas certain vers la bonne direction, celle de plus de lisibilité, de simplicité et de linéarité.
Wes Anderson, c’est avant tout un style virtuose, éminemment identifiable, à base de symétrie parfaite du cadre, de panoramiques rapides et de travellings latéraux calculés au double décimètre. C »est aussi une direction artistique magnifique, provenant en grande partie des décors particulièrement sophistiqués d’Adam Stockhausen. Bien plus aujourd’hui que Scorsese, Spielberg ou Malick, Wes Anderson est reconnaissable au premier plan. C’est donc un génie en son genre, tant il maîtrise son domaine, ainsi que la manière de le mettre en valeur.
Le souci, c’est quand le style fait écran par rapport à l’histoire ou lorsqu’il constitue une sorte de vêtement pour une histoire anecdotique. C’était le cas dans Asteroid City où la mise en abyme théâtrale n’apportait rien, voire nuisait tout simplement à l’histoire, ou bien aussi dans The French Dispatsch où la surcharge d’effets faisait que le spectateur ne voyait plus que les effets au lieu de l’histoire et des personnages censés être servis par eux. Trop de style tue le style. Seuls les fans dévots de Wes pourront affirmer que ces films n’accusaient pas une grande déperdition de sens, même si, toujours estimables et passionnants, ils gagnaient sans doute à un revisionnage un peu trop intensif, par rapport aux véritables réussites . The Phoenician Scheme a ainsi l’intérêt certain de simplifier la donne : adoptant la ligne claire des aventures de Tintin, (dont Wes Anderson n’a jamais été aussi proche), ce film apparaît bien plus linéaire que les précédents et bien moins polyphonique. L’histoire pourrait se résumer à une négociation permanente entre un père, milliardaire excessif, hanté par la tentation de la mort, du crash et de l’échec, et sa fille, religieuse, qui l’a très peu connu. Centré donc sur la relation père-fille, The Phoenician Scheme paraît donc bien plus simple à suivre que les opus précédents.
Wes Anderson s’est pour cela inspiré de la relation qui existait entre Juman Malouf, sa femme, et son père Fouad, ingénieur à la personnalité excentrique et charismatique, malheureusement décédé à qui ce film est dédié. Il a également bénéficié de son expérience en tant que père d’une fille, ce qui explique son retour à un univers familial qui a marqué ses premiers films (La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique, A bord du Darjeeling limited). Cet élément plus personnel teint ainsi The Phoenician Scheme d’une intimité plus touchante que ses trois films précédents. Tout comme la situation de confinement a inspiré Asteroid City, nul doute que pour dépeindre son milliardaire excessif et égocentrique, Anderson n’ait pas eu à se tourner bien loin dans l’actualité pour trouver des exemples plus que consternants.
A partir de là, reconnaissons, y compris les détracteurs, que les 40 premières minutes du film sont absolument jubilatoires, si l’on passe les habituelles afféteries de style propres à Anderson. Cela va vite, très vite, ce qui permet d’assister à une partie loufoque de basket-ball d’anthologie entre Tom Hanks, Bryan Cranston, Riz Ahmed et Benicio del Toro, qui n’a pas grand’chose à envier à la folie douce des Marx Brothers. Les épisodes suivants retombent malheureusement dans le prêt-à-réaliser de Wes Anderson, où le style domine un peu trop l’ensemble au détriment des personnages. Néanmoins la linéarité du film et de l’intrigue, en dépit des divers épisodes bigarrés qui parsèment son parcours, font que cette oeuvre finit par paraître bien plus agréable et moins inégale que les précédentes.
Wes Anderson, tel qu’en lui-même l’éternité ne le change pas, tel pourrait être l’intitulé de ce texte. Pourtant quelques signes montrent que le virtuose de la mise en scène finit peut-être par se lasser de son système un peu trop programmatique et tente un retour vers le passé. Le doute demeure. Reste à voir à l’avenir si Wes Anderson se contentera de devenir une sorte d’icône du chic (ici, l’utilisation de la musique de Stravinsky ou l’exposition de tableaux de grands maîtres) ou parviendra à remettre de fond en comble son système artistique en danger, pour le plus grand bien de ses spectateurs.
RÉALISATEUR : Wes Anderson NATIONALITÉ : américaine GENRE : comédie, espionnage, aventures AVEC : Benicio Del Toro, Mia Threapleton, Michael Cera DURÉE : 1h45 DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France SORTIE LE 28 mai 2025