The Outrun : Saoirse dans tous ses états

The Outrun, avec son sujet atypique et sa construction en forme de puzzle temporel, semble un film un peu sorti de nulle part. Or Nora Fingscheidt n’est pas tout à fait une inconnue : révélée par son premier film Benni (2019), sur une gamine en proie à des crises de violence incontrôlables, cette jeune réalisatrice a été distinguée par huit prix, dont celui du meilleur film et de la meilleure réalisation, par la 70e cérémonie des Deutscher Filmpreis, l’équivalent des Lumières en Allemagne. Après Benni, remarquable premier film, elle a tourné Impardonnable, un film avec Sandra Bullock pour Netflix, sorte de baptême du feu hollywoodien. Nora Fingscheidt revient à un cinéma plus personnel et intime avec The Outrun, adaptation du livre autobiographique d’Amy Liptrot. récit d’une jeune femme souffrant d’alcoolisme et se réfugiant pour se soigner dans une nature sauvage. Comme dans Benni, il s’agit d’héroïnes en proie à de graves traumas obsessionnels et essayant de les combattre en faisant preuve de résilience.

Rona, bientôt la trentaine, brûle sa vie dans les excès et se perd dans les nuits londoniennes. Après l’échec de son couple et pour faire face à ses addictions, elle trouve refuge dans les Orcades, ces îles du nord de l’Écosse où elle a grandi. Au contact de sa famille et des habitants de l’archipel, les souvenirs d’enfance reviennent et se mêlent, jusqu’à s’y confondre, avec ceux de ses virées urbaines. C’est là, dans cette nature sauvage qui la traverse, qu’elle trouvera un nouveau souffle, fragile mais chaque jour plus puissant.

Au-delà de son travail magnifique sur la forme cinématographique, The Outrun est aussi une ode à la résilience et à la beauté de ce qui nous entoure

Nora Fingscheidt adopte donc toujours un point de vue principalement féminin pour ses films. D’une certaine manière, ses sujets ressemblent à l’exposition de cas sociaux (une gamine violente, une jeune femme alcoolique) mais tout son talent va être de transformer ce qui pourrait être matière à une démonstration sociétale plus ou moins exemplaire en forme cinématographique poétique et originale. Déjà dans Benni, le passé de la petite fille était exprimée en flashes d’images qui peuvent rappeler ceux utilisés en guise de présentation des personnages dans Les Gens de la pluie de Francis Ford Coppola. Ce procédé donnait une dimension expérimentale et poétique au projet qui, sur le papier, se serait avéré uniquement naturaliste.

Pour The Outrun, Nora Fingscheidt a procédé un peu de la même manière, en étendant ce dispositif au niveau de tout un film. Le film brouille les temporalités en se raccrochant uniquement à quelques repères physiques (la couleur des cheveux de Rona, l’état de sa peau acnéique ou impeccable, ses vêtements) pour permettre au spectateur de distinguer les diverses périodes. Le style utilisé est également très sophistiqué, allant du très gros plan au plan large digne des plus beaux tableaux de paysage, de la caméra à l’épaule au plan fixe. Ce faisant, Nora Fingscheidt tente d’aller jusqu’au bout des possibilités du médium cinématographique, en épuisant les dimensions d’image, de son et de temporalités.

C’est ainsi dans une ellipse de début de film que se cache le trauma de Rona, celui qui va bouleverser son existence et la conduire à changer radicalement d’horizon, passant des boîtes enfumées et suralcoolisées de Londres Ce trauma ressurgira au milieu de la fiction, alors qu’on l’avait presque oublié, nous stupéfiant par sa violence insoutenable.

The Outrun est l’histoire d’une renaissance, d’un changement de cap, de vie. Sur le papier, ce serait presque un manifeste écologique pour les vertus de la nature bienfaisante. Mais à l’écran, le film ressemble bien davantage à un puzzle temporel où Fingscheidt jongle avec trois temporalités différentes, à la manière virtuose d’un Alain Resnais première manière (d’Hiroshima mon amour à Providence, en passant par Je t’aime je t’aime). Cet enchevêtrement des lignes narratives n’est jamais gênant mais contribue au contraire à maintenir un intérêt soutenu pendant toute la durée du film.

Rona revient dans les Orcades, paysage fantastique dans lequel elle a passé son enfance et où elle retrouve sa famille, un père diagnostiqué bipolaire et une mère qui s’est réfugiée dans la religion. Se ressourçant dans la nature sauvage et pourtant bienveillante, elle va y trouver de l’apaisement et une certaine sérénité qu’elle n’avait jamais approchée jusque-là. The Outrun est ainsi une ode à la résilience par la nature. Rona se réapproprie des vertus qu’elle avait depuis longtemps oubliées, celles de la musique (une musique électro s’échappant de son casque audio), celles du silence, celles de la résilience et de son corps. Rona devient alors la « géologue personnelle » de son corps, chroniquant tous ses états, des larmes aux orgasmes.

Avouons que le film de Nora Fingscheidt ne serait pas aussi réussi sans l’interprète exceptionnelle auquel il sert d’écrin : Saoirse Ronan (Soeur-Chat pour les familiers de la prononciation de son prénom), actrice surdouée, enfant-star depuis Reviens-moi de Joe Wright, la fidèle complice et alter ego de Greta Gerwig qui a illuminé ses deux premiers films, Ladybird et Les Filles du docteur March. Dans The Outrun, Saoirse Ronan est de tous les plans, et imprime sa grâce innée et sa flamme incandescente aux séquences, en étant la vie et le mouvement du film, ce que montrent de manière éloquente les scènes où elle danse et semble diriger l’orchestre des forces de la nature. A part dans le système hollywoodien, Saoirse Ronan s’est complètement immergée dans ce film, en le produisant. Le film lui ressemble profondément, tout autant sans doute qu’à Nora Feigscheidt, à leur passion commune de la vie, à leur volonté de survivre à toutes les épreuves, et à leur capacité de renverser les montagnes. Au-delà de son travail magnifique sur la forme cinématographique, The Outrun est aussi une ode à la résilience et à la beauté de ce qui nous entoure. Merci Soeur-Chat et Nora.

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RÉALISATRICE : Nora Fingscheidt 
NATIONALITÉ :  britannique, allemande 
GENRE : drame 
AVEC : Saoirse Ronan, Paapa Essiedu, Saskia Reeves, Stephen Dillane 
DURÉE : 1h58 
DISTRIBUTEUR : UFO Distribution 
SORTIE LE 2 octobre 2024