The Old Oak : serrons-nous les coudes

 

Depuis Jimmy’s Hall, comme Charles Aznavour pour ses tournées d’adieux à la chanson, Ken Loach annonce à chaque film prendre sa retraite du cinéma. Trois films plus tard, Ken Loach est pourtant à nouveau présent en compétition en Sélection Officielle avec The Old Oak, son vingt-huitième long-métrage. Cette fois-ci, il se consacre à l’arrivée de migrants syriens dans une ville du Nord-Est britannique, arrivée qui va diviser profondément la population locale. Comme dans la plupart des films de Loach scénarisés par Paul Laverty (14 longs-métrages depuis Carla’s Song), The Old Oak est un film résolument engagé, redoutablement efficace et parfois un peu trop mélodramatique. On ne peut résister à la puissance lyrique de ce plaidoyer anti-raciste, tout en reconnaissant que Ken Loach charge un peu trop par moments la barque des émotions.

TJ Ballantyne est le propriétaire du « Old Oak », un pub qui est menacé de fermeture après l’arrivée de réfugiés syriens placés dans le village sans aucun préavis. Bientôt, TJ rencontre une jeune Syrienne, Yara, qui possède un appareil photo. Une amitié va naître entre eux…

Si Ken Loach venait un jour à disparaître, personne ne pourrait le remplacer en tant que conscience de gauche et volonté évangélisatrice du cinéma.

L’ouverture, violente et fracassante, est du pur Ken Loach, accrocheur et incroyablement efficace : un bus de migrants syriens arrive dans une petite ville du Nord-Est de l’Angleterre. Un autochtone alcoolique de la ville casse l’appareil photo de Yara, une jeune migrante. On comprendra plus tard que cet appareil photo revêt une dimension sentimentale très importante aux yeux de Yara. D’emblée, Ken Loach prend le spectateur à la gorge, en mettant en scène de main de maître ce violent conflit local, où les habitants de la ville, marqués par le chômage de la région, ne supportent pas l’arrivée d’étrangers censés selon eux leur piquer leur nourriture et leur boulot. Dès le départ, on est pour le moins épaté par l’autorité stylistique avec laquelle Loach pose les données du problème, caractérise avec rapidité ses personnages et embarque le spectateur dans son histoire.

On fait ainsi connaissance avec les clients du pub The Old Oak, son propriétaire débonnaire T.J. Ballantyne et Yara, la jolie migrante syrienne qui va sympathiser avec T.J. pour réparer son appareil photo jeté par terre par un voyou alcoolo, natif de la ville. On peut admirer ici l’habileté avec laquelle Paul Laverty tisse la toile de fond dramaturgique qui va permettre de donner tout son impact à l’histoire de The Old Oak, via une jolie séquence où Yara contemple les photos en noir et blanc du passé de T.J dans une arrière-salle abandonnée pour cause de vétusté.

Jusqu’ici, tout va bien. Il est alors regrettable que Laverty et Loach qui auraient pu se contenter de développer simplement le potentiel scénaristique certain de leur histoire se soient crus obligés de charger excessivement leur barque : T.J. (excellentissime Dave Turner, d’une sobriété exemplaire, si l’on peut utiliser cette expression pour le patron d’un pub) est profondément dépressif et suicidaire et va perdre un de ses principaux soutiens ; Yara va également perdre une personne proche ; T.J. va prêter son arrière-salle pour organiser des repas entre habitants de la ville, repas qui seront compromis par le sabotage de l’installation électrique par des xénophobes, grands clients du pub.

Rarement un film de Loach aura été si proche d’un film de Frank Capra. Le protagoniste principal se trouve au bord du suicide à deux reprises. L’humanité semble avoir basculé du côté obscur, en particulier sur les réseaux sociaux. Le généreux rattrapage final du côté des xénophobes va même encore plus loin que chez Capra, puisque dans La Vie est belle, seuls les véritables amis de George Bailey vont à son secours. Dans cette volonté très oecuménique de pardonner à tous, Ken Loach et son scénariste Paul Laverty ne lésinent pas à pousser les curseurs à fond du côté lacrymal alors que le sujet n’en avait même pas besoin. Il demeure tout de même que, l’on s’en rend compte à la vision de ce film, si Ken Loach venait un jour à disparaître, personne ne pourrait le remplacer en tant que conscience de gauche et volonté évangélisatrice du cinéma.

3.5

RÉALISATEUR : Ken Loach 
NATIONALITÉ :  britannique 
GENRE : drame
AVEC : Dave Turner, Ebla Mari, Trevor Fox, Debbie Honeywood
DURÉE : 1h53 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 25 octobre 2023