The Lost Daughter : maman malgré elle

Parmi les films de femmes, catégorie en pleine expansion depuis trois ou quatre ans, existe une catégorie encore plus spécifique : les films d’actrices. Netflix s’en est presque fait une petite spécialité puisque l’on peut mentionner Booksmart d’Olivia Wilde, Clair-obscur de Rebecca Hall et donc désormais The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal. Trois actrices intelligentes, talentueuses, séduisantes qui ont toutes les trois décidé d’aller plus loin que de prêter leur apparence et leur jeu aux films des autres. En l’occurrence, Maggie Gyllenhaal a opté pour l’adaptation de Poupée volée, un roman méconnu de Elena Ferrante, l’autrice mystérieuse de L’Amie prodigieuse. Premier film récompensé par le Prix du scénario à la dernière Mostra de Venise, The Lost Daughter est une oeuvre extrêmement maîtrisée sur la « maternité contre nature », le fait assez tabou que les femmes puissent être débordées dans leur vie adulte et ne pas forcément se reconnaître dans une image conventionnelle de mère.

Lors de vacances à la mer en solitaire, Leda est fascinée par une jeune mère et sa fille qu’elle observe sur la plage. Bouleversée par leur relation fusionnelle (ainsi que par leur grande famille bruyante et intimidante), Leda est submergée par la terreur, la confusion et l’intensité de ses souvenirs de maternité précoce. Un acte impulsif la replonge dans les méandres étranges et inquiétants de son esprit, l’obligeant à affronter les choix peu conventionnels qui ont été les siens en tant que jeune mère et leurs conséquences.

The Lost Daughter est une oeuvre extrêmement maîtrisée sur la « maternité contre nature », le fait assez tabou que les femmes puissent être débordées dans leur vie adulte et ne pas forcément se reconnaître dans une image conventionnelle de mère.

D’une poupée volée, il est déjà question dans L’Amie prodigieuse. On retrouve ce motif romanesque dans le roman méconnu d’Elena Ferrante que Maggie Gyllenhaal a choisi d’adapter. Il n’est pas très étonnant que cette dernière ait choisi une auteure particulièrement féministe. Maggie Gyllenhaal s’était déjà illustrée dans La Secrétaire, une oeuvre sado-masochiste, où les rôles s’inversaient, et The Deuce, la série de David Simon (The Wire) sur l’industrie de la pornographie, où son personnage gravissait les échelons jusqu’à devenir réalisatrice et productrice. Sorti en catimini à la fin de l’année 2021, sur Netflix, The Lost Daughter est passé un peu inaperçu dans les effluves de fin et début d’année, jusqu’à ce que l’on se rende compte qu’il s’agit de l’un des meilleurs films de l’année finissante.

En effet, Maggie Gyllenhaal choisit de consacrer son premier film à un thème assez tabou, celui de l’abandon d’enfants. Dans une vie bien sage et calibrée, une femme devient mère, parfois sans le vouloir, ou sans s’apercevoir des conséquences qui sont liées à ce choix, c’est-à-dire renoncer à une certaine liberté de vie, sexuelle, professionnelle ou autre. En passant ses vacances sur une île grecque, Léda (Olivia Colman, portant un prénom mythologique de femme violée par Zeus), professeur de lettres, est troublée par une famille gréco-américaine qui envahit la plage qu’elle occupait tranquillement. Au fur et à mesure des jours, elle est de plus en plus fascinée par Nina, une jeune mère séduisante qui se trouve débordée par sa fille. Elle se projette de plus en plus dans ce miroir qui lui rappelle les choix de sa jeunesse.

The Lost Daughter a sans doute obtenu le prix du scénario car il paraît reposer sur un twist trompeur qui ne viendra jamais, ce qui installe une tension ininterrompue, exprimée de manière magistrale par Olivia Colman, en presque quinquagénaire, qui se trouve dans un entre-deux malaisant, entre le harcèlement larvé et la sympathie de façade, face à cette famille envahissante qui prend d’assaut la petite plage tranquille de ses vacances. Or, le film repose bien davantage sur une mise en scène solide et discrète qui réussit une à une ses scènes, comme un collier de perles : la scène formidable où Léda voit une projection de cinéma perturbée par une bande de jeunes ; les échanges entre Léda et Nina (Dakota Johnson, magnétique, qui montre qu’elle vaut bien mieux que les galipettes de Cinquante nuances) ; les flash-backs où Léda jeune (excellente Jessie Buckley, remarquée dans Wild Rose) se laisse séduire par un professeur d’université qui va l’encourager dans son parcours, sur fond de musique de Dickon Hintchliffe, membre de la formation originelle des Tindersticks, qui donne un cachet de film d’horreur à The Last daughter, en réutilisant les mêmes accords de piano que dans Trouble Every day de Claire Denis.

Léda voit dans chaque femme qu’elle croise, chaque mère qu’elle rencontre, le fantôme de celle qu’elle a été : une femme, une mère, pas particulièrement aimante, qui avait du mal à se comporter « comme elle le devait » et a fini par larguer les amarres. Alors que le film est survendu comme un thriller, il s’apparente davantage à un portrait psychologique tout en finesse d’une femme perdue dans son passé et son présent. Grâce à un sens inné de la direction d’acteurs et une distribution exemplaire, Maggie Gyllenhaal parvient par petites touches à nous transmettre les états d’âme de cette femme sous influence, qui va tenter de reprendre le contrôle de sa vie et renouer contact avec ses proches. Au cours de son film, Maggie Gyllenhaal prend délibérément son temps, ce qui pourra irriter certains, mais fait preuve également d’une belle maîtrise du rythme et de la temporalité de son film, ce qui laisse augurer d’un futur prometteur pour sa carrière de réalisatrice.

3.5

RÉALISATEUR :  Maggie Gyllenhaal
NATIONALITÉ : américaine 
AVEC : Olivia Colman, Jessie Buckley, Dakota Johnson, Ed Harris
GENRE : drame
DURÉE : 2h02
DISTRIBUTEUR : Netflix
SORTIE LE 31 décembre 2021