The Idol : du trash considéré comme un des Beaux-Arts

 

Film ou série? Thierry Frémaux n’avait pas l’air de trop savoir lorsqu’il a présenté The Idol en conférence de presse de la Sélection Officielle du Festival de Cannes. Il l’a présenté comme un film alors qu’il s’agit en fait des deux premiers épisodes de la série-événement programmée sur HBO à partir du 5 juin 2023. D’habitude, lorsque une série est projetée au Festival de Cannes, il s’agit d’auteurs reconnus s’étant particulièrement illustrés dans le cinéma : Top of the Lake de Jane Campion, Twin Peaks de David Lynch, Carlos et Irma Vep d’Olivier Assayas. Sam Levinson, fils de Barry Levinson (Rain Man), a en tout trois films à son C.V. qui ne l’ont guère fait remarquer (Another happy day, Assassination nation, Malcolm et Marie). Bénéficiant donc d’un passe-droit exceptionnel, Levinson a en fait été recruté par Frémaux pour créer le buzz, autour de sensations trash, provocatrices et vaguement érotiques, les films de la Sélection Officielle manquant singulièrement de ces aspects. Signalons tout de même que Euphoria possède de vrais moments de mise en scène qui font en effet penser de temps en temps à du très bon cinéma, ce qui expliquerait la décision de Thierry Frémaux mais cet argument n’a pas été évoqué par le Délégué général. Objectif atteint en ce qui concerne le buzz, la projection de The Idol a consterné la plupart de ses spectateurs cannois, se repaissant de trash défraîchi et de porno soft même pas assumé.

Suite à sa dernière tournée entachée par une dépression nerveuse, Jocelyn est déterminée à récupérer son titre de pop star la plus populaire et sexy d’Amérique. Tedros, un propriétaire de boîte de nuit au passé trouble, ranime la flamme en elle. Cette nouvelle romance l’entraînera-t-elle au sommet de son art, ou la fera-t-elle basculer dans les tréfonds de son âme ?

Le problème majeur de The Idol, c’est que la série se concentre essentiellement sur des protagonistes sans intérêt ou rendus sans intérêt par une interprétation déficiente.

Au début de The Idol, il est demandé à Jocelyn (Lily-Rose Depp) de prendre plusieurs poses et expressions. A un moment, on lui demande « fais l’innocente ». Elle lance un regard où ne se lit que la vacuité et la dépravation. L’innocence n’existe plus, elle s’est fait la malle. Volontaire ou pas, cette expression est révélatrice de la série tout entière et donc de ce qui va suivre. Pourtant la première demi-heure est relativement convaincante, si on met à part ce qui se révèle central dans la série, l’interprétation hors sol de Lily Rose-Depp, symbole des Nepo Babies, qui repose essentiellement sur l’exposition de son physique (joli succédané de Vanessa Paradis) et de regards aussi vides que l’immensité de l’océan. Lors de la première demi-heure, Sam Levinson dresse une satire assez drôle des réseaux sociaux et du buzz engendré par une photo du visage de Jocelyn couvert du sperme de son amant. Jocelyn est donc ici un mélange de diverses chanteuses pop (Britney Spears, Lady Gaga, Miley Cyrus) et d’actrices dont Internet a pu révéler les performances intimes (Jennifer Lawrence, Paris Hilton, Pamela Anderson). La satire est, avouons-le, assez efficace mais atteint ses limites lorsque Levinson a la très mauvaise idée de montrer la photo qu’il avait alors cachée jusque-là. Dès lors, The Idol quitte la satire pour basculer dans le trash le plus médiocre, la « performance » de Lily-Rose Depp, terriblement faible, n’aidant pas véritablement à donner une âme au personnage principal de la série.

Les choses ne s’arrangent pas vraiment lors du deuxième épisode qui voit débarquer Abel Tesfaye aka The Weeknd, dans le rôle de Tedros, propriétaire d’une boîte de nuit, qui va s’amouracher de Jocelyn. On sait que la série a fait l’objet d’un remontage et d’un changement de direction artistique suite au renvoi d’Amy Seimetz (The Girlfriend Experience). On se demande où a bien pu passer le female gaze dont Amy Seimetz paraissait la garante, la showrunneuse d’origine ayant été renvoyée au profit de Sam Levinson car sa vision n’était pas assez sulfureuse aux yeux des producteurs de la série (c’est-à-dire The Weeknd). Aujourd’hui, bien au contraire, en particulier dans le deuxième épisode montré à Cannes, la série regorge de male gaze et de scènes hyper-sexualisées, dégradantes et peu engageantes. On croit comprendre qu’en montrant ce male gaze, Levinson aurait voulu en fait le critiquer alors qu’il s’y vautre complètement. Lily-Rose Depp devient dans ce deuxième épisode un corps criblé de douleurs, souffrant mille maux via ses petits pieds délicats emprisonnés dans ses escarpins chics à talon aiguille et suscitant la moquerie bien plus que la compassion.

Pourtant Sam Levinson n’est pas que le promoteur du male gaze, comme le caricaturent l’ensemble des revues négatives de la série. Ce serait oublier un peu vite que Euphoria, série innovante par ses thématiques et sa mise en scène, a particulièrement mis en valeur, quasiment pour la première fois, une actrice trans, Hunter Schafer (Jules) ainsi qu’une autre ronde, Barbie Ferreira, luttant ainsi contre les préjugés à l’égard des transsexuels ou la grossophobie. Sam Levinson réitère d’ailleurs la même approche de défense de la communauté trans avec la journaliste incarnée par l’actrice trans, Hari Nef, mais sans atteindre une réussite identique. Le problème majeur de The Idol, c’est que la série se concentre essentiellement sur des protagonistes sans intérêt ou rendus sans intérêt par une interprétation déficiente. Elle manque en plus d’une boussole morale, soit de personnages qui incarneraient un point de vue distancié sur ce monde dépravé et dépourvu de repères. Un espoir apparaît tout de même dans les vingt dernières minutes avec l’apparition du personnage de Chloé (Suzanna Son, déjà vue dans Red Rocket de Sean Baker). Interprétant un morceau au piano (la meilleure séquence de la série), cette dernière possède l’innocence qui manque à Jocelyn. Il suffirait de recadrer The Idol sur le personnage de Chloé pour en faire une bien meilleure série, tout en prenant vraiment de la distance avec les fantasmes porno soft de The Weeknd. Sam Levinson, aura-t-il l’intelligence de le faire?

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RÉALISATEUR : Sam Levinson
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : trash et porno soft 
AVEC : Lily-Rose Depp, Abel Tesfaye, Suzanna Son, Jane Adams, Hari Nef 
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : HBO
SORTIE LE 5 juin 2023 sur HBO