The Housewife : une femme japonaise, entre passé et avenir

Depuis le début du XXIème siècle, le cinéma asiatique (surtout coréen, chinois et japonais, parfois taiwanais) domine largement les débats. Cela fonctionne par périodes : c’était le cas du cinéma français dans les années 30 à 45, du cinéma italien dans les années 50 et 60, américain dans les années 70 à 90. En ce début d’année 2022, Drive my car de Ryusuke Hamaguchi est par exemple couronné à presque toutes les cérémonies de prix cinématographiques. Aujourd’hui, un film asiatique « normal » se trouve largement supérieur à la moyenne des films français. Parmi les cinéastes japonais, on ne connaissait guère Yukiko Mishima (aucun rapport a priori avec l’écrivain japonais préféré de Paul Schrader) qui en est pourtant à son neuvième film avec The Housewife (Red pour son titre original), les autres n’ayant pas connu le bonheur d’une sortie en salles en France. Yukiko Mishima profite aussi sans doute en ce moment d’une vogue portant ces derniers temps les femmes metteurs en scène et rejoint donc en pleine lumière Naomi Kawase qui semblait la seule représentante d’un cinéma japonais au féminin. Joliment mis en scène, The Housewife relate ainsi le combat d’une femme pour récupérer son passé, enterré par son mariage et l’éducation de sa fille, et se projeter vers une émancipation souhaitée mais longtemps réprimée.

Tôko est une parfaite femme d’intérieur, ménagère émérite, mère modèle, geisha douée à ses heures, mignonne jeune femme toujours séduisante. Shin, son époux, commercial toujours en déplacement, en est très satisfait et s’en sert comme d’un trophée de chasse lorsqu’il l’emmène à des réceptions ou réunions. Or, à une de ces réunions, elle croise un de ses anciens amours qu’elle a connu dix ans auparavant, lorsqu’elle suivait des études d’architecture….

Joliment mis en scène, The Housewife relate ainsi le combat d’une femme pour récupérer son passé, enterré par son mariage et l’éducation de sa fille, et se projeter vers une émancipation souhaitée mais longtemps réprimée.

Yukiko Mishima, dont nous n’avons malheureusement pas vu les précédents films, possède à l’évidence une belle élégance de style cinématographique, avec un sens de l’atmosphère (ici hivernale, cf. de superbes plans de paysages enneigés) et une maîtrise des courts-circuits temporels. En témoigne une fascinante scène de coup de téléphone dans une ville sous l’empire de l’hiver, qui ne s’expliquera qu’à la fin du film. Chaque plan paraît ainsi ciselé et souhaité par une véritable volonté de mise en scène, donnant lieu à quelques séquences extrêmement poétiques, une conduite sous la neige, sur fond musical de Hallelujah, la version de Jeff Buckley du chef-d’oeuvre de Leonard Cohen.

On croit au départ que Yukiko Mishima va décrire le long étouffement que subit Tôko dans sa vie quotidienne, forcée d’être la ménagère idéale, la mère parfaite, l’épouse irréprochable, submergée par une domination patriarcale, longtemps synonyme de société japonaise, d’autant plus ferme qu’elle est apparemment courtoise. Pourtant elle n’y consacre qu’un bref quart d’heure car ce qui l’intéresse véritablement, c’est de montrer comment Tôko va essayer de mener de front cette vie assujettie et une autre existence de femme indépendante, en étant sollicitée de toutes parts, en tant que mère (l’accident de sa fille délaissée), femme (la renaissance de sa vie sentimentale avec son ancien amour), et travailleuse (harcelée par son patron). La conclusion sera que les deux sont finalement incompatibles et qu’il faudra choisir et sacrifier l’une de ces deux vies. Travaillant comme designer d’espace, Tôko devra résoudre ce dilemme en tentant de se construire son propre espace, en construisant son propre intérieur au sens physique comme figuré, Yukiko Mishima filant la métaphore de l’architecture par sa mise en scène pendant toute la durée du film. Dans ce rôle difficile de femme clivée, l’excellente Kaho se montre impressionnante de justesse, d’une sensibilité frémissante dans les scènes de confrontation, aussi bien que dans les séquences charnelles. D’une certaine manière, Yukiko Mishima montre que, au-delà de toute moralité encombrante, l’adultère sera en fait la clef de l’affranchissement de Tôko, une porte ouverte pour prendre une revanche sur son destin de femme victime, retrouver sa jeunesse enfuie et essayer d’aimer passionnément pour une fois dans sa vie.

3.5

RÉALISATEUR :  Yukiko Mishima 
NATIONALITÉ : japonaise
AVEC : Kaho, Satoshi Tsumabuki, Tasuku Emoto, Shôtarô Mamiya
GENRE : Thriller, romance, drame
DURÉE : 2h03
DISTRIBUTEUR : Art House
SORTIE LE 9 mars 2022