The history of sound : une douce philosophie de la musique

À quoi mesure-t-on la force d’un souvenir ? Quel instant du présent, immédiatement gravé dans notre mémoire, influera à jamais sur nos vies, nos joies ou nos mélancolies ? C’est la question proustienne à laquelle tente de répondre The history of sound, d’Oliver Hermanus, dans la Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes. Sauf que la madeleine est ici “le son” : les chants de nos enfances, les airs traditionnels de nos communautés, tout ce qui composera à la fin la “bande originale de notre vie”. Dans ce film dédié à la musique, sous couvert d’une rencontre amoureuse de deux hommes pendant la Première Guerre Mondiale, le réalisateur sud-africain compose une partition esthétiquement parfaite, livrant de manière subtile une réflexion philosophique sur nos mémoires et choix de vie.

En 1917, Lionel, un jeune chanteur originaire du Kentucky part étudier au conservatoire de Boston. Un soir, dans un piano-bar, il rencontre David, étudiant en composition. Leur idylle secrète dure le temps d’une saison, avant que David ne soit mobilisé. Au sortir de la guerre ils sont à nouveau réunis, cette fois le temps d’un hiver, pour un projet d’enregistrement et de conservation des chants folkloriques dans la Nouvelle-Angleterre. Un voyage en sac à dos, véritable pèlerinage mémoriel, qui marquera David à tout jamais. 

Dans un très joli incipit, aussi doux que l’enfance, on découvre que pour Lionel “chaque son a une couleur”

Dans The history of sound, tout commence et finit par le son. Le film s’ouvre sur l’enfance de Lionel, ce gamin né dans une ferme perdue du Kentucky et doué d’un don : il est capable de reconnaître et d’enregistrer tous les sons. Dans un très joli incipit, aussi doux que l’enfance, on découvre que pour Lionel “chaque son a une couleur” (on appelle cette faculté la synesthésie). Même le bruit que fait son père quand il tousse est une nuance particulière. Dans la dernière scène, et sans en dévoiler l’intrigue, c’est un son perdu depuis des décennies qui secouera un Lionel devenu vieil homme (et ethnomusicologue réputé). 

Présenté comme un film sur l’amour empêché entre deux hommes, The history of sound n’en est donc peut-être pas vraiment un. Un peu comme une excuse pour envelopper une philosophie du son, le réalisateur reconnu pour ses récits queer (tels que Beauty (2011) et Moffie (2019)) reprend l’histoire de Lionel et David (tirée d’une nouvelle éponyme, écrite par Ben Shattuck) mais semble achopper (volontairement ?) à en faire le principal sujet du film. Dès leur rencontre, c’est la musique qui devient amante : David, brun ténébreux, joue sur le piano d’un bar une chanson qui n’est autre que celle que les parents que Lionel lui chantaient quand il était petit. Mais si David avait joué un autre air ? Ou si Lionel n’avait pas été profondément mordu précisément par CETTE chanson dans son enfance ? Et d’ailleurs c’est bien le souvenir d’un son, le grondement des obus dans les tranchées, assombrissant l’esprit de David, qui séparera les amants.

Au fil de leur romance, on peine à comprendre les raisons ou la force de leur amour, si ce n’est leur passion commune pour la musique. Les conversations profondes entre les deux acteurs (Paul Mescal et Josh O’Connor) sont rares, et les quelques scènes d’amour, bien que tendres, n’étalent pas une passion dévorante. Il ne faut pas s’attendre à la puissance physique d’un Brokeback mountain (2005), donc, puisque la comparaison est tentante.

Grand amour ou pas, c’est pourtant bien cet hiver 1920 qui hantera à jamais Lionel. Mais peut-être simplement parce qu’il parcourait alors librement de grands espaces, à la rencontre d’hommes et de femmes, de récits, collectant les madeleines sonores de l’humanité ? D’ailleurs, lorsque David lui propose à la fin de la collecte s’il veut venir prendre un poste d’enseignement près de lui, Lionel refuse, sans grande émotion apparente. Il comprendra bien plus tard qu’il ne pourra jamais passer à autre chose. Il s’ennuie dans sa nouvelle vie à Rome, puis il échoue en Angleterre à construire une relation avec une femme. L’occasion d’une très jolie scène, où ce fils de fermier se couche sous le piano de la demeure de sa belle-famille, en pleine nuit, comme à la recherche d’une étreinte musicale avec ce fantôme qui ne le quitte pas.

Pour servir son ode à la mémoire sonore, Oliver Hermanus fait évidemment la part belle aux scènes de chants, entre duo amoureux et émotions familiales dans des coins reculés. Le réalisateur y ajoute une esthétique douce et mélancolique : des tons bruns, boisés, comme usés par le temps. On se laisse entraîner par l’intention méditative, même si la hachure des scènes et les ellipses temporelles parfois trop longues ou trop courtes brisent parfois le récit. Et au final, c’est bien l’intention générale du film qui fredonne dans nos têtes après la séance, celle du titre lui-même : appréhender avec amour notre histoire humaine du son.

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RÉALISATEUR : Oliver Hermanus
NATIONALITÉ :  Américano-britannique
GENRE : Drame, Historique, Romance
AVEC : Josh O'Connor, Paul Mescal, Chris Cooper
DURÉE : 2h 07min
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 14 janvier 2026