The Brutalist : la tolérance du rêve américain

Vous ne vous souvenez peut-être pas de Brady Corbet, un jeune acteur américain qui s’est d’abord illustré dans des films du cinéma indépendant américain (Thirteen, Mysterious skin, Martha Marcy May Marlene), avant de participer à des films d’auteur européens qui comptent (Funny Games U.S. de Michael Haneke, Melancholia de Lars Von Trier, Sils Maria d’Olivier Assayas, Snow Therapy de Ruben Östlund). Il avait cette manière légèrement timide ou réservée de se tenir au bord du cadre, en paraissant un peu mal à l’aise, qui pouvait peut-être présager d’une autre orientation. Depuis 2015, il semble avoir en effet abandonné sa carrière d’acteur et s’est lancé à corps perdu dans une toute nouvelle aventure, celle de réalisateur.  Trois projets conséquents à chaque fois l’ont mobilisé : une adaptation d’une nouvelle marquante de Sartre (L’Enfance d’un chef), une comédie musicale se déroulant sur une durée de quinze ans (Vox Lux) et enfin un drame historique sur une période de trente ans (The Brutalist). Thématiquement et formellement ambitieux, The Brutalist suit le parcours d’un architecte hongrois contraint de fuir son pays pour échapper à la Shoah, et se retrouvant en butte à l’hostilité larvée des Américains, bien éloignée du rêve américain promis.

Après la Seconde Guerre mondiale, László Toth, un architecte juif né en Hongrie survivant d’un camp de concentration émigre aux Etats-Unis, suivi quelques années plus tard par son épouse Erzsébet. Il souhaite enfin connaître et vivre le « rêve américain ».

Brady Corbet a ainsi créé un personnage iconique, dans la lignée des personnages résilients qui finissent par atteindre leur objectif, en l’occurrence ici une certaine forme de réussite, même s’il a fallu passer pour cela à travers humiliations, offenses et dévorations de l’ogre américain.

A la Mostra de Venise 2024, The Brutalist a fait partie des événements du Festival, étant l’un des films les plus attendus. Distribution prestigieuse (Adrian Brody, Guy Pearce, Felicity Jones), fresque imposante, durée-fleuve de 3h35, tout était réuni pour garantir une réussite hors du commun. Le film de Brady Corbet se présente quasiment de manière aussi monumentale que certaines des constructions de László Toth, rappelant certains films américains des années soixante ou soixante-dix (Le Parrain, La Porte du Paradis) : soit une ouverture sur une sortie cauchemardesque d’un camp de concentration, ensuite deux parties, la première sur cinq ans (1947-1952), la seconde sur dix (1952-1962), enfin un épilogue se déroulant environ vingt ans après, au début des années quatre-vingts.

Avec une durée monumentale de 3h35, Brady Corbet affiche clairement son ambition : marquer le cinéma américain, voire mondiale de son empreinte. Il apparaissait ainsi comme le principal concurrent de La Chambre d’à côté, le film de Pedro Almodóvar, décrochant finalement le Lion d’argent de la mise en scène à Venise. Pari donc globalement réussi mais pas tout autant qu’il aurait pu l’être. Car, en dépit d’une ouverture traumatisante et assez marquante, le film de Brady Corbet commence tranquillement dans sa première partie, montrant la trajectoire assez chaotique de László Toth, ex-architecte devenu homme à tout faire, repartant de zéro dans son nouveau pays d’adoption, entre prise de drogues, pour garder le moral et évacuer la douleur, et corvées peu gratifiantes, pour assurer sa survie économique.

Au bout de cinquante minutes, le film commence réellement avec la deuxième rencontre entre László Toth et Harrison Lee Van Buren, le richissime aristocrate, propriétaire terrien, raciste à ses heures, qui va reconnaître son talent et l’embaucher pour améliorer sa maison et son domaine. On découvre alors que László a en quelque sorte changé de maître, passant de la domination nazie à l’asservissement capitaliste, a priori plus aimable et engageant, mais guère plus positif au fond. A la limite, László Toth pourrait être un prolongement du personnage d’Adrian Brody dans Le Pianiste.

Lorsque la seconde partie débute, László retrouve à la gare deux membres de sa famille, son épouse Erzsébet et sa nièce Zsófia qui ont accepté de le rejoindre aux Etats-Unis. C’est quasiment un nouveau film qui commence car le film monte réellement en puissance et tient alors toutes ses promesses. Alors qu’elle lui avait caché la vérité dans ses lettres, Erzsébet n’est plus qu’une infirme, coincée dans un fauteuil roulant, étant atteinte d’ostéoporose ; quant à Zsófia, elle est plongée dans un profond mutisme qui pourrait faire croire au spectateur qu’elle est muette (très belle idée qui, hélas, s’évapore en cours de film lorsqu’elle prononcera ses premiers mots à l’écran). Par conséquent, dès leur arrivée, le fameux rêve américain n’en est plus un en raison de ces signes annonciateurs.

Le reste du film s’acharnera à montrer la triste débâcle que va connaître László. Comme le lui dit Harry, le fils Von Buren, « vous n’êtes que tolérés« . L’architecte va malheureusement s’en apercevoir par la suite : floué, renvoyé, violé, László connaît une négation de sa personnalité, à se demander si elle n’est pas sinon plus forte, du moins comparable, à la dépersonnalisation opérée sur les Juifs par les tortionnaires nazis. Dans cette seconde partie, Brady Corbet atteint par intermittence le niveau des fresques viscontiennes ou coppoliennes, montrant la décadence d’une famille. Du côté du couple immigré, signalons la fantastique prestation de Felicity Jones qui, en épouse aimante et handicapée, permet de mieux symboliser l’exclusion des personnes qui souhaitent s’intégrer dans le Rêve américain.

Le tour de passe-passe fictif est si brillant que l’on croit dur comme fer à la véracité de l’histoire, s’attendant à apprendre à la fin de l’épilogue que László Toth a bel et bien réellement existé. Or, magie du cinéma, il n’en est rien. Cependant Brady Corbet a ainsi créé un personnage iconique, dans la lignée des personnages résilients qui finissent par atteindre leur objectif, en l’occurrence ici une certaine forme de réussite, même s’il a fallu passer pour cela à travers humiliations, offenses et dévorations de l’ogre américain.

3.5

RÉALISATEUR : Brady Corbet
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, historique 
AVEC : Adrian Brody, Guy Pearce, Felicity Jones, Raffey Cassidy, Joe Alwyn, Issach de Bankolé, Alessandro Nivola, Stacy Martin,  Emma Laird 
DURÉE : 3h35 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 12 février 2025