Taylor Swift est une femme de performances : elle a réussi à prendre la tête du box-office US avec plus de 92 millions de dollars de recettes, en seulement quatre jours (du jeudi au dimanche, seuls jours de projection) grâce à son film-concert Taylor Swift – The Eras Tour. Ce faisant, elle effectue le meilleur week-end dans les salles américaines depuis Barbeinheimer et explose sur sa première semaine les chiffres réalisés par les concerts de Justin Bieber (Never say Never, 73 millions) et Michael Jackson (This is it, 72 millions) sur toute leur carrière. En France, la moisson est nettement moins spectaculaire (29 228 entrées dans 139 salles) car Taylor Swift a longtemps souffert d’un déficit d’image. Miss Americana n’a vraiment séduit le public français qu’avec son dixième album Midnights, atteignant pour la première fois la première place des classements en France. Elle qui est peut-être aujourd’hui la plus grande pop star mondiale a entièrement conçu ce projet qui lui permet d’investir les salles de cinéma alors que sa tournée The Eras Tour affiche complet à chaque date. Taylor Swift – The Eras Tour est donc une magnifique opération de communication et de marketing, mais aussi une véritable expérience à vivre au cinéma.
Taylor Swift a l’envergure d’une artiste majeure qui peut s’adapter à un grand nombre de styles et surtout a su préserver sa croyance profonde en la musique, un art que la maladie et l’épidémie ne peuvent contraindre au silence.
Bloquée chez elle en raison du confinement, alors qu’elle devait partir pour une tournée de concerts faisant la promotion de son excellent album Lover, Taylor Swift a écrit, composé, interprété et produit en 2020 deux albums supplémentaires, folklore (Grammy Award du meilleur album 2021) et evermore, petit frère du précédent. Lorsqu’elle a pu partir en tournée en 2023, une idée incroyable a germé en elle : concevoir un concert d’anthologie de plus de trois heures, revenant sur la plupart de ses dix albums. Un événement qui n’a jamais été réalisé par aucun artiste pop.
En France, vue de loin, Taylor Swift a longtemps représenté une fiancée idéale de l’Amérique, d’où son surnom de Miss Americana, titre d’un documentaire disponible sur Netflix, sur la tournée autour de l’album Reputation. Ayant commencé par la country, à seulement 16 ans, elle jouissait d’une image vaguement réactionnaire et conservatrice. Il a fallu attendre 2018 pour qu’elle ait le courage d’affirmer ses opinions progressistes. En France, pour rappeler un souvenir personnel, il a fallu attendre de la voir dans un concert organisé pendant le confinement par Lady Gaga, interpréter de manière bouleversante un titre qui ne l’était pas moins, Soon you’ll get better, pour que Taylor Swift attire l’attention. On prit enfin l’ampleur du phénomène quand, alors que beaucoup d’artistes se trouvèrent paralysés par la crainte du Covid, elle sortit à six mois d’intervalle deux albums qui lui permirent de changer de style, grâce aux frères Dressner de The National, passant de la pop ludique au folk savamment ouvragé. A partir de là, il n’y eut plus vraiment de doute, hormis pour quelques grincheux retardataires qui ne peuvent se rendre à l’évidence du talent. Taylor Swift a l’envergure d’une artiste majeure qui peut s’adapter à un grand nombre de styles et surtout a su préserver sa croyance profonde en la musique, un art que la maladie et l’épidémie ne peuvent contraindre au silence.
Disons-le, The Eras Tour est un projet exceptionnel. Taylor Swift, au lieu de faire un concert traditionnel, mélange de ses meilleurs titres, revisite chaque album et constitue à l’arrivée une sorte de best-of de son oeuvre commencée à l’âge de 16 ans, soit donc 17 ans de carrière et 10 albums au total. La plupart des gens ont compris l’ampleur pharaonique de ce projet, ce qui a d’ailleurs conduit au bug des réservations pour les dates françaises. Taylor Swift, jamais à court d’idées et soucieuse de ne laisser aucun spectateur au bord de la route, a ainsi été visitée par une illumination : mettre le concert à disposition de tous dans les salles de cinéma.
Taylor Swift – The Eras Tour est ainsi une expérience immersive, où sans doute on n’a jamais autant ressenti la sensation de se trouver au concert, voire même mieux qu’au concert. Même mieux car quatre facteurs jouent en faveur de la salle de cinéma : 1) la possibilité, si on arrive assez tôt, de se placer au centre de la rangée pour pouvoir bénéficier d’une expérience maximale ; 2) le film élimine tous les temps morts dus au changement de costumes de la star, meublés par des morceaux instrumentaux de transition, ce qui explique en partie la réduction de durée de 3h25 (la durée totale du concert) à 2h49 (la durée du film) ; 3) La salle de cinéma dispose de places assises, ce qui n’est pas le cas des places en concert situées dans la fosse, en orchestre et permet de ne pas se fatiguer inutilement, en restant debout pendant trois heures. 4) La place de cinéma vous coûtera moins d’une vingtaine d’euros au lieu de deux cents investis dans une place de concert.
Taylor Swift – The Eras Tour se trouve à la hauteur de son contenu, en captant avec fluidité toute la splendeur de la scénographie – deux scènes, un tableau par album – et tous les mouvements de Taylor Swift qui exploite au maximum toutes les ressources de l’espace mis à sa disposition. Enregistré au Sofi Stadium les 3, 4 et 5 août 2023, le film représente réellement une expérience immersive car il est présenté en version originale sans sous-titres ni commentaires ou images d’interviews. On se trouve donc plongé dans le public du concert, avec exactement les mêmes éléments de compréhension. Le filmage assez judicieux, alternant les gros plans et les plans larges, participe également de cette expérience immersive. A l’origine, la set-list était composée de 45 titres mais a finalement été élaguée de cinq titres (The Archer, no body, no crime avec le groupe HAIM, Long live que l’on retrouve en version album au générique de fin, Cardigan, Wildest dreams, non des moindres que l’on espère retrouver en bonus sur l’édition vidéo). A l’arrivée, sans trop de surprise, les albums du début, un peu trop country, (Taylor Swift, le premier totalement omis, Speak now et Fearless disposant respectivement d’un seul ou de trois extraits) servent d’intermèdes à l’alternance qui structure le concert entre la pop facétieuse et rythmée (les albums Lover, Red, 1989 et Midnights) et le folk paisible et serein (folklore et evermore). La part royale est réservée aux albums les plus récents, en particulier folklore (six titres) et surtout Midnights (sept) qui a l’insigne honneur de conclure la prestation.
Le concert atteint donc ses plus beaux moments dans des séquences quasiment antagonistes, la cabane dans la forêt de folklore, cadre de sublimes titres acoustiques (the 1, betty, the last great american dynasty, le magnifique my tears ricochet) et l’enchaînement de folie des trois morceaux pop irrésistibles de Red (l’un des meilleurs albums de Taylor Swift), 22, I knew you were trouble, We are never ever getting back together. Difficile alors de résister à l’hystérie qui s’empare des spectateurs, ayant quitté depuis belle lurette leurs sièges pour aller danser en face du grand écran. Car n’oublions pas de le souligner, Taylor Swift – The Eras Tour est un spectacle qui s’apprécie au moins autant dans la salle que sur l’écran. Les Swifties (fans de Taylor Swift) réagissent en direct à chaque mouvement de leur idole, poussant des cris, des exclamations, en vivant à fond le concert, et hurlant en choeur, comme s’ils se trouvaient dans la véritable enceinte du Sofi Stadium. Ils savent pourtant aussi communier en silence autour de All too well, peut-être la plus belle chanson de Taylor Swift, chanson bouleversante de rupture. On comprend alors pourquoi même Neil Young a salué l’extraordinaire qualité d’écriture de cette jeune autrice-compositrice.
Et donc Taylor Swift dans tout cela? Elle parvient dans le film à demeurer cette icône accessible, parfaite amie, amoureuse idéale, fiancée de l’Amérique, sorte de Barbie pop, tout en sachant préserver sa part énigmatique de mystère, sa beauté immarcessible et la perfection esthétique de ses courbes (mention spéciale à sa tenue vénéneuse du tableau Reputation). Si vous voulez voir en action l’une des plus grandes popstars de la planète, le phénomène Taylor Swift au summum de ses capacités, de sa beauté et de son talent, capable d’enchaîner une quarantaine de titres, comme à la parade, Taylor Swift – The Eras Tour vous offrira une belle démonstration sur un plateau. A la fois, une grande fille toute simple qui s’épanche souvent sur ses aventures amoureuses et un génie extraordinaire du marketing qui sait parfaitement comment faire réagir de manière pavlovienne ses fans. Que faire après une telle réussite, récapitulatif de 17 ans de carrière et de 10 albums? Quels défis alors se lancer? A priori un projet de série métaféministe inspirée de sa propre vie, en collaboration avec Alice Birch (Normal People, Succession) l’attend déjà. Elle a par ailleurs réalisé plusieurs de ses clips dont All too well en version de dix minutes, primé aux MTV Awards. Ayant atteint, voire dépassé tous ses objectifs dans la chanson, elle peut sans crainte tester ses capacités dans d’autres domaines. Le cinéma ? Un premier film produit par Searchlight Pictures serait en gestation. La maternité? L’avenir appartient à Taylor Swift.
© getty/Kevin Mazur/Getty Images for TAS Rights Management
RÉALISATEUR : Sam Wrench NATIONALITÉ : américaine GENRE : film musical, concert AVEC : Taylor Swift DURÉE : 2h49 DISTRIBUTEUR : Pathé Live SORTIE LE 13 octobre 2023