Bien que (ou parce que) le récit (comme le tournage) se passe à Marseille, on peut s’étonner du titre de ce premier long métrage de Philippe Petit : Tant que le soleil frappe, sans son objet, pluriel ou singulier, car frappant qui, ou métaphore de quoi (le pouvoir peut-être ?)… Ou alors s’agit-il de l’état paradoxal du héros – entre comateux et nerveux –, Maxime, le paysagiste qui envisage de renaturer ( !) une place abandonnée à l’entrée de la ville, mais qui, à force de fumer, un peu boire, travailler de jour comme de nuit, finit par s’endormir ou se prendre une branche sur la tête…
Entre dénaturer et re.naturer, reste le végétal capable de renaître même du dessous les pierres… par sa capacité d’adhérer.
Gros plan sur quelques herbes qui rencontrent des capsules de protoxyde d’azote jetées là comme des déchets insignifiants, c’est en hors-champ sonore que le film commence pour se poursuivre à ras de sol avant de rencontrer le héros, qui semble presque délirer… À se demander s’il ne s’agit pas d’une prolepse renvoyant à l’état de Maxime, seul, marmonnant, en boucle et après coup, sa déception du refus d’un projet mené avec son associé pour apporter du bien-vivre ensemble grâce à un espace vert à des habitants et riverains entourés par le bruit, les immeubles et des travaux interrompus sur une place laissée à l’abandon… Maxime, ce héros malgré lui, obstiné dans sa cause perdue, filmé tout du long et parfois caméra à l’épaule et en grande proximité, en train de travailler, vivre, danser, fumer, boire, échanger, fuir, ou rejouer la scène de rencontre avec sa bien-aimée, Alma. On le verra sous toutes les coutures, en mari, père, ami, entre pairs, en créateur, dessinateur, négociateur, parfois joyeux, souvent en douleur contenue : on connaissait les talents de Swann Arlaud (particulièrement dans le Petit paysan d’Hubert Charuel qu’il incarnait ou dans Grâce à Dieu de François Ozon) à qui Philippe Petit offre ici un rôle en or, sur qui le soleil frappe… Et qui n’est pas pour autant un personnage sympathique : derrière ses airs rêveurs, sa connaissance et son rêve du végétal partout, ses désirs d’utopie et l’entêtement dont il fait preuve pour sauver un projet citoyen d’urbanisation – par idéologie ou culpabilité…–, c’est aussi un homme banal, prêt à avoir un deuxième enfant sans faire cas des désirs de sa femme, à laisser sa fille le chercher tout un petit matin dans un parc où il danse à tue-tête, à laisser croire, par sa méconnaissance des systèmes politiques – sa naïveté ? – à des habitants peu considérés, la possibilité d’une île – d’un îlot de verdure. Souvent éloigné des réalités, et finalement plus épicurien que politique, il sera confronté au décès d’un jeune skateur de quartier, au désarroi de son associé plus réaliste qui l’abandonne, à la cruauté des concours d’archi, à des formes d’échec (personnel) pourrait-on dire, dans une société où l’argent et la rentabilité priment sans laisser d’espace à la liberté de création et à une écologie (une économie) solidaire. Le film déroule ainsi les caractéristiques d’un homme actuel ordinaire, certes placé du côté du « Bien », capable de désherber des jardins pour un petit salaire comme de suivre une star du football (au passage Djibril Cissé) au petit matin pour lui soutirer quelque aide, et de s’être rattrapé d’une erreur professionnelle dont le récit taira le détail…
L’histoire d’un homme ordinaire, pris entre ses défauts et ses qualités, entre s’entêter ou renoncer, sous le soleil marseillais.
Autour du personnage, le film aborde ainsi différentes notions : du territoire et de l’espace, du travail et de la famille, de ce qu’on en fait ou de ce qu’ils deviennent, des engagements et des renoncements que l’être est voué à vivre tout au long de ce parcours. Pour ce faire, Philippe Petit s’attache à des géométries : quand la demeure du footballeur autour de laquelle Max doit penser le jardin surplombe la côte méditerranéenne (du côté de l’Estaque) ou que le toit terrasse de la tour où habitent Max, Alma et leur fille, leur offre des moments de plaisir après les colères, la ville (de Marseille) est perçue dans son horizontalité, dans son retour à la terre, en témoigneront les descentes des skateurs – et dans le pire des cas au fond d’un trou –, ou les plans serrés ou plus larges à hauteur humaine lors des regroupements citoyens. C’est pourtant un arbre volé qui finira planté sur la place vide comme le signe d’une (re)naissance à venir à l’image de l’annonce d’un second enfant par Alma. Le récit s’attache aussi à faire le portrait, plutôt bien mené, de types et de rôles (adjuvants ou opposants) : ainsi fréquente-t-on Paul Moudenc, un maudit architecte, capable d’offrir du travail à Max mais de ne pas sélectionner son projet, capable de l’introduire dans un milieu de riches mais sous contrainte de garder son pouvoir, capable de passer en impro et en public, un coup de fil (coup de main) à ses amis de la mairie pour finalement annoncer la reprise du terrain par l’immobilier hôtelier. Cynique, méprisant, hypocrite avec un certain talent, il devient un double inversé de Max, de la même manière que sa femme, posée, communicante, réaliste, rayonnante à sa manière, symbolise un équilibre et une lucidité qui manquent au héros. C’est que le film s’attache finalement aux failles, celles qui touchent l’individu ou la société : si le récit n’est ni politique, ni écologique, qu’il démontre combien la question de l’espace est importante puisqu’elle touche tout le monde, il fait le tableau, par petites touches, des failles d’un système qui voit ses villes se gentrifier, qui voit ses êtres se heurter à des murs ou à des illusions, qui voit les failles se creuser pour laisser au centre des places des trous béants, morbides et où la mort peut entrer… si l’on n’y prend pas garde. Mort des rêves et des espoirs, des fantasmes et des utopies, des libertés et possibilités de créer : dans la maison de riches, et à l’inverse, le souhait pour la terrasse aura été de compartimenter plutôt que d’ouvrir les espaces (un carré vip et un bar lounge !).
Traiter des espaces et des territoires, à ouvrir ou à compartimenter, comme au sein des psychés, Philippe Petit touche du doigt la question de la citoyenneté.
Pourtant, un espoir demeure : il semble se situer dans les corps, toujours vivants à faire naître, toujours mouvants dans leurs danses, eux-mêmes cadencés par la magnifique musique d’Andy Cartwright – et mention spéciale au travail sur le son et ses bruits –, toujours surprenants à apparaître et à s’élancer, telle la petite Margot dans un dernier d’élan d’amitié. Tant que le soleil frappe est une œuvre courte, concentrée sur l’un qui tente de se décentrer sur le tous, une œuvre de travail et d’artisan, donc à la fois lente et lancinante, et venue rappeler, expression mémorable donnant à chacun de ses termes toute sa puissance, « l’adhésion du végétal », exprimera l’ami Gaspard au tout début du film. Adhésion, on la voudrait totale et collective lorsqu’il s’agit d’améliorer les vies sauf… tant que le soleil frappe !
RÉALISATEUR : Philippe Petit NATIONALITÉ : française GENRE : drame citoyen AVEC : Swann Arlaud, Sarah Adler, Grégoire Oestermann, Pascal Rénéric, Lee Fortuné-Petit, Djibril Cissé, Marc Robert, Philippe Petit DURÉE : 1h24 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 8 février 2023