Dans American Sniper, Chris Kyle, tireur d’élite, tue 160 personnes ; dans Sully, Chelsey Sullenberger, pilote d’avion, sauve 155 personnes. C’est complètement différent et pourtant, par la façon dont Eastwood le montre, c’est la même chose. C’est l’occasion pour Clint Eastwood dans ces deux films d’analyser ce qui constitue un héros américain, c’est-à-dire une personne ordinaire qui effectue des actes qui deviennent extraordinaires, que le système feint d’approuver ou souhaite rejeter, alors qu’elle est tourmentée par des remords, des syndromes post-traumatiques ou des interrogations sans fin.
Depuis Gran Torino jusqu’à Sully, cinq des six films tournés par l’immense cinéaste américain sont des biopics parfois politiques (Invictus, J. Edgar), musical (Jersey Boys) ou militaire (American Sniper). Sully en est l’ultime illustration, portrait d’un pilote d’avion, homme ordinaire qui se transforme en un jour en un héros américain. L’âge avancé de Clint Eastwood n’est sans doute pas étranger à cette volonté affirmée de se pencher sur le parcours d’une vie. Réflexion sur la vanité de l’héroïsme, méditation sur la vieillesse, éloge du professionnalisme, critique du système judiciaire et médiatique qui s’acharne à déceler des failles chez des personnes irréprochables, Sully représente un peu tout cela, œuvre complexe et attachante, délaissant le clinquant des morceaux de bravoure pour approfondir les aspects feutrés d’une personnalité.
Le 15 janvier 2009, le commandant Chelsey Sullenburger, surnommé Sully, réussit un exploit sans précédent, en atterrissant sur les eaux glacées de l’Hudson. Le « miracle de l’Hudson » est célébré alors qu’en parallèle, une enquête menace de détruire la vie et la réputation de Sully, homme ordinaire devenu en un jour un des héros de l’Amérique.
Avec American Sniper, Clint Eastwood s’était penché sur un héros américain très controversé, Chris Kyle, tueur d’élite, miné par le spectre de l’autodestruction. Par un mouvement de balancier, habituel chez lui, et commun à beaucoup de très bons cinéastes, il s’est ensuite intéressé à un personnage complétement opposé, nettement plus unanimiste, le commandant Chelsey Sullenburger. Il s’agit donc ici d’un hommage à une personne vivante, héros incontesté de l’Amérique, par contraste avec la figure défunte et clivante de Chris Kyle. Comme pour Invictus, célébrant l’action de Nelson Mandela, Sully se range dans la catégorie peu fournie des films de Clint Eastwood, mettant en avant les bons sentiments et les personnages positifs.
Parmi les films et scènes d’aviation récents, on se souvient surtout des crashs impressionnants de Seul au monde ou Flight de Robert Zemeckis, ainsi que du crash de Lost, filmé à répétition, sous tous les angles de vue et toutes les perspectives des personnages. Clint Eastwood a cherché à faire autre chose, en ne présentant pas d’emblée la version intégrale de l’accident d’avion, mais en fournissant des flashs de séquences traumatiques, différant jusqu’à la fin, de manière très intelligente narrativement, le morceau de bravoure du film. Dans ces brèves scènes oniriques, Sully se revoit piloter l’avion, en provoquant des catastrophes, évoquant immanquablement celle du 11 septembre.
Car si le héros du film est irréprochable, il est pourtant tenaillé par le doute. A-t-il pris la bonne décision au bon moment ? N’est-il pas un imposteur ? Sa réputation ne va-t-elle pas s’écrouler comme un château de cartes ? Dans cette nuée de doutes, Sully rejoint ici American Sniper, ce qui semblait pourtant très improbable sur le papier. Eastwood ne s’intéresse donc pas aux héros invulnérables et sûrs de leur fait mais aux êtres ordinaires qui deviennent des personnes extraordinaires un peu malgré elles.
Réflexion sur la vanité de l’héroïsme, méditation sur la vieillesse, éloge du professionnalisme, critique du système judiciaire et médiatique qui s’acharne à déceler des failles chez des personnes irréprochables, Sully représente un peu tout cela, œuvre complexe et attachante, délaissant le clinquant des morceaux de bravoure pour approfondir les aspects feutrés d’une personnalité.
Dans Flight, Robert Zemeckis racontait une histoire assez comparable de pilote accomplissant un exploit hors du commun mais s’appesantissait (un peu trop) sur le mélodrame culpabilisant d’un alcoolique en quête de rédemption. Du côté de Sully, l’homme est certes tourmenté mais quoi qu’il puisse penser, il n’a en fait rien à se reprocher, Eastwood faisant l’éloge du professionnalisme hawksien ainsi que du sens américain de la solidarité. On pourra reprocher à Sully une absence de spectacle et une fin trop dédiée aux bons sentiments (le générique de fin fait ainsi apparaître le véritable Chelsey Sullenburger, accompagné de sa femme, et des passagers de l’avion, reproduisant trop facilement la convention de fin de La Liste de Schindler ou d’Argo). Or Eastwood tenait sans doute avant tout à nous confronter aux conflits d’une conscience dans la dernière partie de sa vie. Sully se demande comment il a pu devenir un héros et s’il mérite en définitive de l’être. Nul doute que cette interrogation trouve un écho dans les préoccupations de Clint Eastwood, remettant en cause chaque jour sa valeur en tant qu’artiste et être humain.
RÉALISATEUR : Clint Eastwood
NATIONALITÉ : américaine
GENRE : biopic, drame, action
AVEC : Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney, Anna Gunn
DURÉE : 1h36
DISTRIBUTEUR : Warner Bros. France
SORTIE LE 30 novembre 2016


