Straight up : divine idylle (ou tout ce que vous ne pourrez jamais savoir sur le sexe !)

Straight up s’ouvre sur deux plans de Todd (James Sweeney, le charmant réalisateur lui-même), face caméra, entouré de beaux garçons, à révéler ses déboires amoureux (ou sexuels) sur le générique : c’est que le jeune homme est à la recherche non pas du temps perdu, mais du temps passé à rechercher de quelle sexualité… il est fait ! « J’aimerais ne pas avoir de trou, sans me soucier de ce qui rentre et qui sort. La vie serait bien plus simple » résume cette fantaisie comique d’1h35, durant laquelle Todd, qui a peur de finir seul et multiplie les tocs (vis-à-vis de la saleté, de la nourriture, du corps, de son environnement), donc les phobies (et les névroses, sans arriver aux psychoses, quoique !), nous fait partager son problème existentiel : pourquoi faudrait-il s’identifier sexuellement comme homosexuel, hétérosexuel, bisexuel ou asexuel – dans le même temps que tous ses amis, et à l’exception de sa psy, lui collent l’étiquette de gay, étiquette qu’il refuse pourtant corps et âme ? Et, par-là, pourquoi faudrait-il mener une existence qui reflète cette identité de genre et peut-être ses modes de vie normés ? On a récemment peu vu de films aussi dialogués, à l’exception du précédent Tromperie de Desplechin qui fonctionnait inversement eu égard aux dialogues et aux échanges qui faisaient avancer tant les personnages que le récit quand ici les logorrhées, jeux verbaux et conversations de Todd ne nous le montrent qu’en train de pédaler ou rétropédaler pour (ne pas) parvenir à se caractériser, se connaître intimement, peut-être s’aimer, ce malgré tous ses soutiens (médical, parental, amical, amoureux). Seule Rory, interprétée par une Katie Findlay tonique et très subtile, et ainsi leur rencontre permettront à Todd d’éprouver des sensations, des sentiments décentrés de lui-même, d’être généreux vis-à-vis de l’autre, jusqu’à l’amener à une plus grande conscience de ses envies, désirs, fantasmes et autres activités promptes à lui faire ressentir le sentiment d’exister… sans baiser !

« J’aimerais ne pas avoir de trou, sans me soucier de ce qui rentre et qui sort. La vie serait bien plus simple. » (citation de Todd)

Le titre, Straight up, multiplie les sens puisque l’expression nominale renvoie à « hétérosexuel » quand la verbale signifie « redresser » ou l’adjectivale renvoie au fait d’être « honnête » : ces caractéristiques, Todd les possède toutes comme il n’en possède aucune, aussi affolé qu’il est devant un sexe féminin qu’un pénis, incapable d’avoir une relation sexuelle, et aussi honnête qu’il est le roi de l’enfumage oral. Le film est en effet fondé sur un ping-pong langagier permanent – entre sa psy et lui, sa famille et lui, ses amis et lui, son amoureuse et lui – source de rire, fait d’intelligence comme d’érudition, dialogué mais pas verbeux, rapide mais clair, n’omettant aucun sujet et tentant de les analyser chacun à la manière d’un statisticien, parfois brillant, parfois hors norme par la spontanéité et la sincérité apparentes que le personnage développe à nos oreilles et sous nos yeux. De ce point de vue-là, le film est digne des dialogues dont est capable Woody Allen jouant son propre rôle en prise avec un psy ou ses maîtresses dans Manhattan ou Annie Hall. Sauf que les soliloques de Todd ou ses dialogues avec Rory masquent difficilement leurs symptômes ou malaise : l’anxiété, l’absurdité, parfois une pensée nihiliste touchant tous les domaines de la vie. Todd et Rory ont respectivement dû faire face à des défaillances de proches vis-à-vis d’eux, qu’ils partagent dans le récit de leurs souvenirs : rupture amoureuse ou mensonge – à travers une relation pour l’une ou une tentative de fellation pour l’autre –, étouffement ou indifférence familiale – traduits dans deux scènes lors du repas chez les parents de Todd, pas piqués des vers ou au bout du répondeur permanent de l’indifférente et absente mère de Rory –, quand il ne s’agit pas d’incompréhension – lorsque Rory joue une scène de viol dans une improvisation de théâtre et choisit le mauvais registre –, situations les vouant peut-être à avoir eux-mêmes des difficultés relationnelles…

Quand les soliloques de Todd ou ses dialogues avec Rory masquent difficilement leurs symptômes ou leur conception anxieuse, mélancolique ou absurde de la vie…

En voulant leur faire dépasser des obstacles liés à leurs personnalités singulières, le film fait alors aller le tableau, après cette sorte de coup de foudre dans une bibliothèque entre Rory et Todd, vers le comment « faire couple » (soit à ne plus être identifié comme homosexuel mais hétérosexuel tout en ne pratiquant pas le sexe), à travers toutes les situations qui lui seraient attenantes, de la maison à la vie à deux (même avec un chien), des partages de loisirs aux rencontres entre amis, un tableau qui finit par faire croire que cet essai de rencontre est une idylle sérieuse et même heureuse ! Le film multiplie les scènes – souvent en plans fixes mais en nombre – à nous faire voir et entendre, en champ-contre champ, toujours à travers la frénésie de Todd et l’humour qui en découle, son « émancipation » : depuis les dialogues dans un bar sur sa sexualité et son genre avec ses amis Meg et Marcus, pas piqués des vers non plus, auprès d’une inconnue aussi seule que lui et rencontrée dans une boîte de nuit, sur un tapis, un canapé, ou un lit à partager des concours d’éloquence avec sa Rory pour refaire le monde (et leur monde) – quand ils n’inventent pas des mots, ou des concepts – et parce que ces deux-là plus que de se rapprocher semblent connectés : loi de l’attraction. On n’est pas loin des images pop d’un Xavier Dolan à représenter les relations adolescentes et leurs Amours imaginaires… Sauf que persiste un tabou : celui de la sexualité ! Passant d’un comique lunaire à un plus burlesque, les scènes où il en est question sont hilarantes comme lorsqu’au moment de faire un acte sexuel, la vue du sang arrivé sur son index fait hurler Todd – qui prétend n’apprécier pas plus les baisers masculins que les pipettes. Todd rejette les fluides corporels qui l’angoissent autant qu’ils le dégoûtent. Ainsi s’agite la pile électrique à lutter à tout ce qui touche de près ou de loin à son corps, n’étant qu’esprit, au grand désarroi de Rory qui n’envisage pas une relation d’amour sans sexualité. Deux scènes dans le film, toujours sur le mode comique – lors d’un bal masqué et d’un Thanksgiving entre amis où les addicts et nymphomanes s’amusent du jeu Action ou Vérité et des plaisirs de bouche dans le même temps que Rory et Todd ont fait les plus grands efforts pour se déguiser en deux personnages du film La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks – révèleront le blocage de Todd. Plutôt que la nécessaire union charnelle, James Sweeney semble plutôt vouloir interroger la relation à deux, et poser, de ce point de vue, des questions assez actuelles venues produire toute une mouvance chez les adolescents : nous faisant sortir de la vision classique et romantique de l’amour, pourtant souvent américaine, le récit fait réfléchir le spectateur à contre-courant en mettant en images l’histoire d’un compagnonnage, basé sur la rencontre des âmes et de ses affinités électives plus que l’intimité physique et le partage des corps (sauf à dormir dans un même lit), relation basé sur tous les partagés… sans sexe.

Quand Todd et Rory n’inventent pas des mots, ou des concepts, et parce que ces deux-là plus que de se rapprocher semblent connectés : loi de l’attraction.

Finissant sur un scrabble à trois, James Sweeney a réussi à emprunter aux screwball comedies des années 40 – on pense à L’Impossible monsieur Bébé d’Hawks – à travers sa manière de détourner, comme c’était le cas à l’époque, des conventions contemporaines, et en jouant sur un comique de répétition et de situation infatigable. Si le film voit paraître quelques-unes de ses limites car le scénario fait (encore) de la femme une nouvelle victime des désirs ou des choix de l’homme, et qu’on peut aussi s’interroger sur l’étrange jeu de mots, entendu dans le choix du nom du héros, Todd, en lien avec celui que porte l’acteur-réalisateur, Sweeney, il n’en reste pas moins, que Straight up reste un moment rafraîchissant, et un premier film retournant (le cerveau)… pour le meilleur plus que pour le pire. En ce sens, Straight up donne à voir un nouveau mariage, celui de l’amour et du Verbe, celui de la véritable entente des âmes, au-delà de la question du genre.

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RÉALISATEUR :  James Sweeney
NATIONALITÉ : États-Unis
AVEC : James Sweeney (III), Katie Findlay, Cayleb Long, Dana Drori, Alexis Beckley, James Scully, Randal Park, Betsy Brandt
GENRE : comédie romantique
DURÉE : 1h35
DISTRIBUTEUR : L'Atelier Distribution
SORTIE LE 26 octobre 2022