Stop making sense : tout pour la musique!

A l’occasion de la Fête de la Musique, Program Store en France (A24 aux Etats-Unis) a eu la bonne idée de ressortir le fameux film culte de Jonathan Demme, Stop making sense, captation idéale de la tournée des Talking Heads de l’année 1983, soit suivant la sortie de l’album Speaking in tongues, contenant entre autres les tubes monstrueux, Burning down the house et Slippery people. Ce film est d’ailleurs considéré par un grand nombre de critiques comme le meilleur film musical jamais réalisé. Quid du film aujourd’hui, alors que les Talking Heads font désormais partie de l’histoire du rock?

Décembre 1983, Pantages Theatre à Hollywood. David Byrne, leader des Talking Heads, s’avance sur une scène vide, lance une cassette audio et entame une version envoûtante du célèbre Psycho Killer. Les membres du groupe arrivent sur scène un par un, à chaque nouvelle chanson, pour créer l’un des concerts les plus mythiques de l’histoire du rock.

Un groupe jovial et jubilatoire qui court sur scène (et sur place), pour mieux nous entraîner dans son groove infernal. Les Talking heads, un groupe magnifique dont il restera pour toujours ce témoignage au summum de ses capacités mélodiques et rythmiques hors normes.

Un petit point d’histoire de la musique pop, pour commencer. Les Talking Heads se sont formés entre 1974 et 1976 et font partie des groupes précédant de peu la vague punk. Un peu plus tard, entre 1977 et 1980, sous l’influence du génial producteur Brian Eno, ils sont devenus l’un des groupes les plus représentatifs de la New Wave, inventant même l’utilisation de la World Music dans le rock, via l’album séminal, Remain in light. Se détachant de l’influence peut-être trop grande de Brian Eno, les Talking Heads ont ensuite atteint ce qui peut être considéré comme le point culminant de leur carrière, avec Stop making sense, proposant l’éventail de toutes leurs capacités extraordinaires de groupe de scène. Ils ont ensuite survécu cinq ans à ce climax puis se sont séparés dans une certaine amertume, d’un côté David Byrne et de l’autre, Tina Weymouth, Chris Frantz et Jerry Harrison. Depuis, ils sont reconnus comme une influence majeure dans la rock music, ayant inspiré des groupes majeurs comme R.E.M., U-2 et Radiohead (qui doit son nom à un des titres des Talking Heads).

Le film est extrêmement bien construit, reconstituant la construction progressive de la scénographie du concert. En effet, pendant les six premiers morceaux du concert, chaque chanson permet d’introduire un membre supplémentaire du groupe, induisant un suspense redoutable. Le film déjoue toutes les attentes puisqu’il commence directement par le plus gros tube des Talking Heads, Psycho Killer, en version acoustique épurée, interprétée par David Byrne, seul en scène. Puis le rejoignent respectivement, un par un, Tina Weymouth l’excellente bassiste du groupe, Chris Frantz, son mari, le batteur, Jerry Harrison le guitariste-claviériste, en ce qui concerne les membres originaux du groupe. Sur les morceaux 5 et 6, les explosifs Burning down the house et Slippery people, ils sont rejoints par la partie soul de la formation, les choristes Lynn Mabry et Edna Holt, le percussionniste Steve Scales, et les multi-instrumentistes Alex Weir et Bernie Worrell, qui impriment une dimension funky irrésistible à l’ensemble.

Le film repose sur des principes très simples, si simples qu’on se demande pourquoi on ne les a jamais réellement appliqués : 1) filmer avant tout les musiciens qui jouent, et non pas ceux qui ne jouent pas ; 2) restituer la captation d’un concert en direct, en filmant parfois la scène de loin, en plan large, pour avoir le point de vue d’un spectateur lambda ; 3) proscrire les interviews, les images des coulisses et du public, pour permettre aux spectateurs du film, de se fondre dans le public du concert. En respectant tous ces critères définis par les Talking Heads eux-mêmes, Jonathan Demme, qui deviendra bien plus tard célèbre grâce au Silence des Agneaux et à Philadelphia, a réussi le film-concert parfait, au point que peu se sont depuis risqués à s’attaquer au genre.

Pour chipoter un peu, signalons tout de même que le concert (et donc le film) connaît un léger creux juste après le septième morceau (Life during wartime), du 8ème au 10ème morceau, avant de reprendre sa marche triomphale. jusqu’à la fin. Quelques choix bizarres peuvent aussi être mentionnés : Once in a lifetime, uniquement filmé en plan fixe sur David Byrne, en omettant tous les autres membres du groupe ; la setlist ne fait apparaître que deux morceaux de l’album-phare Remain in light. On notera aussi une tension assez palpable entre David Byrne et Tina Weymouth qui, déjà sur scène, ne paraissent pas les meilleurs amis du monde. Pourtant ce ne sont que des détails face à l’impression groovy et funky que laissent la plupart des morceaux, démontrant que les Talking Heads représente une redoutable machine à danser.

C’est d’ailleurs l’impression principale que laisse le film, celle d’un groupe jovial et jubilatoire qui court sur scène (et sur place), pour mieux nous entraîner dans son groove infernal. Les Talking heads, un groupe magnifique dont il restera pour toujours ce témoignage au summum de ses capacités mélodiques et rythmiques hors normes.

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RÉALISATEUR : Jonathan Demme 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : film musical, concert 
AVEC : les Talking Heads 
DURÉE : 1h28 
DISTRIBUTEUR : Program Store
SORTIE LE 28 août 1985 (date de reprise le 18 juin 2025)