Stella est amoureuse : comme une étoile filante

Après un Madame Claude remarquable, avec Karole Rocher et Garance Marillier, qui déjouait les codes du film érotique frelaté d’un Just Jaeckin et prévu pour sortir en salle, a malheureusement connu la déprogrammation et le sort final de la disponibilité sur Netflix, Sylvie Verheyde revient à son alter ego cinématographique, Stella, en donnant une suite à son opus éponyme, quatorze ans plus tard. Stella est amoureuse, oeuvre pleine de charme, de peps et de mouvement, renoue donc avec l’art de la chronique de Sylvie Verheyde, à la fois sociale, sentimentale et musicale, en nous plongeant dans l’atmosphère très bien reconstituée des années quatre-vingts.

Stella a désormais dix-sept ans. Après des vacances en Italie, elle reprend la routine du lycée avec néanmoins un événement majeur au bout de l’année scolaire, le baccalauréat en ligne de mire. Un autre événement majeur se produit dans sa vie familiale : son père quitte le domicile conjugal, la laissant seule avec sa mère, une femme pleine d’humour…

Un kaléidoscope assez juste de la vie mouvementée, ballotée dans tous les sens, d’une adolescente qui traverse les choses de manière fugace, éphémère, comme une étoile filante.

C’était dans les années quatre-vingt, une époque que beaucoup d’entre nous n’ont guère connue. Les téléphones portables et Internet n’existaient pas. Les jeunes n’arrêtaient pas de fumer. C’était aussi la parenthèse enchantée, juste après la pilule et avant la déferlante du Sida, où ils n’hésitaient pas à coucher, en répondant à d’éventuelles sollicitations plus ou moins amoureuses. Boîtes de nuit (les Bains-Douches en l’occurrence), lycée, maison, ou inversement, dans le désordre, c’était le quotidien d’une adolescente. Sylvie Verheyde, en bonne ex-fan des eighties, reconstitue parfaitement ces années-là, avec les déjeuners en famille en face de la télévision, où Jacques Martin règne en maître, dans une salle de séjour trop étroite pour les aspirations d’une jeune fille.

Par rapport au précédent Stella, l’actrice a changé. Ce n’est plus l’attachante et prometteuse Leora Barbara (qu’est-elle devenue?) mais l’excellente Flavie Delangle (belle révélation), aussi crédible en lycéenne ordinaire qu’en créature fascinante des Bains-Douches, portant un béret stylé sur sa jolie petite tête. Elle court, elle se faufile partout, entre ses cours, sa bande d’amies, Gladys, Elodie, Marion, Sophia, Clara (beau tir groupé de casting de quatre ou cinq actrices qu’on espère revoir prochainement), ses nuits blanches, ses conversations à la maison avec sa mère, pas gâtée par la vie, mais toujours pleine d’allant et de répartie (Marina Foïs ayant pris la place de Karole Rocher). Le père (Benjamin Biolay, très crédible en barman alcoolo), les a abandonnées, recréant un autre ménage. On pense parfois à Travolta et moi de Patricia Mazuy, téléfilm culte qui mettait aussi en scène une jeune fille déclassée, apprentie boulangère, ou aux Amandiers de Valéria Bruni-Tedeschi qui s’attache aussi à capter les atermoiements et valses-hésitations d’une jeunesse (plus âgée) en mouvement.

« Ce que je préfère plus que tout au monde, c’est danser. Le reste ne m’intéresse pas, surtout pas parler » entend-t-on dans le film, par la voix off de Stella qui auto-commente ses faits et gestes. On la verra en effet beaucoup danser, c’est sans doute ce que Sylvie Verheyde filme le mieux, entre autres, l’exaltation des corps adolescents pour décharger une énergie mise en couveuse pendant les cours de la semaine, au son de Last night a DJ saved my life de Indeep, Wordy Rappinghood de TomTom Club, Blue Monday de New Order ou Fade to grey de Visage. On en oublierait presque que Stella réussit ici à vaincre le traumatisme de l’agression sexuelle vécue dans le film précédent, en connaissant ses premiers émois amoureux et sexuels dans les bras d’un jeune danseur, musicien et chanteur noir. Sylvie Verheyde passe assez rapidement sur ce qui aurait pu constituer le véritable sujet de son film, traité ici en creux, la honte sociale d’une transfuge de classe qui se réfugie dans un mutisme presque hautain pour cacher son humiliation culturelle (cf, quand Stella se voit citer Jackson Pollock). Stella est-elle vraiment amoureuse ou se déteste-t-elle surtout elle-même?

Pourtant, Stella est amoureuse, en dépit d’une introduction et d’une conclusion un peu laborieuses et superfétatoires, remplit plutôt bien sa mission, celle de nous faire vivre une époque lointaine qu’on n’a pas connue, ou de raviver avec charme et nostalgie les souvenirs de ceux qui l’ont vécue. Son style vif, ses inserts de flashes représentant en temps réel les pensées de sa protagoniste, sa manière pudique de ne jamais s’attarder sur des moments dramatiques de la narration, finissent par former un kaléidoscope assez juste de la vie mouvementée, ballotée dans tous les sens, d’une adolescente qui traverse les choses de manière fugace, éphémère, comme une étoile filante.

3.5

RÉALISATEUR :  Sylvie Verheyde 
NATIONALITÉ : française
GENRE :  comédie dramatique 
AVEC : Flavie Delangle, Marina Foïs, Benjamin Biolay, Louise Malek, Prune Richard, Agathe Saliou, Léonie Dahan-Lamort, Claire Guineau, Dixon  
DURÉE : 1h50 
DISTRIBUTEUR : KMBO 
SORTIE LE 14 décembre 2022