Slow : Au rythme de l’intime

Dans un monde où les relations se vivent à la vitesse d’un swipe, Slow, le second long-métrage de la réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze, impose un ralentissement salutaire. Le film nous invite à réapprendre le rythme du corps et des émotions. En filmant la rencontre amoureuse, la réalisatrice esquisse une chorégraphie subtile, loin des clichés du genre romantique. Slow est aussi une proposition délicate et courageuse de visibilisation d’une sexualité minorée, encore largement absente au cinéma. Sans revendication, Kavtaradze ouvre un espace de représentation inédit, rafraîchissant, empreint de questionnements apaisés et de tendresse bienveillante.

Elena (Greta Grineviciute), danseuse contemporaine, rencontre Dovydas (Kestutis Cicenas), interprète en langue des signes. Leur complicité est immédiate, profonde, instinctive. Ils se comprennent sans mots, dans les gestes, dans les silences, dans les regards. Mais alors que leur lien se construit, une vérité inattendue, déstabilisante, éclate — une dissonance à l’issue incertaine que le film choisit d’amener avec sensibilité, non comme un obstacle, mais comme une nécessité d’ajustement amoureux. 

En refusant les normes relationnelles attendues, en filmant un amour qui s’invente hors des chemins battus, Marija Kavtaradze propose une alternative douce et lucide à la représentation du couple.

La force de Slow réside d’abord dans la subtilité de sa mise en scène. Kavtaradze filme les corps avec un raffinement presque tactile : les mains qui signent, les peaux qui se frôlent, les silences chargés de sens. La caméra épouse les mouvements des personnages comme si elle dansait avec eux. L’image, granuleuse, chaleureuse, évoque la texture de la peau, la tangibilité du souffle. Il y a quelque chose de profondément organique dans la façon dont le film donne à voir le lien entre Elena et Dovydas – et notamment une sensualité qui passe par la présence, les gestes, le regard.

Les personnages ne sont jamais réduits à des fonctions ou à des symboles. Ils échappent au formatage lisse et normatif de la romance hétérosexuelle telle qu’on la connaît trop bien. Ils sont entiers, mouvants, contradictoires, ancrés dans leur singularité sans jamais être enfermés dans une case. Elena, notamment, incarne littéralement le désir, à travers son corps si expressif. Chaque geste qu’elle adresse à Dovydas est empreint d’une sincérité désarmante, toujours habitée.

Le titre Slow n’est pas trompeur : il faut accepter la lenteur pour entrer dans le film. Une lenteur qui ne représente pas qu’un rythme narratif, mais aussi une approche de l’intime. Pourtant, cette temporalité assumée peut ennuyer. Il arrive qu’on regarde l’heure, qu’on décroche un instant. Mais c’est là aussi que Slow devient intéressant : il bouscule gentiment notre impatience de spectateurs, habitués à consommer les films aussi vite que certains consomment les swipes. Ici, il faut attendre, écouter, observer. Comme Elena doit le faire avec Dovydas, comme le couple doit apprendre à se lire sans grammaire préexistante.

La sexualité de Dovydas est introduite de manière abrupte, presque comme un uppercut dans un récit qui s’installe doucement. Ce choix, surprenant, peut d’abord apparaître comme une facilité scénaristique. Mais il finit par faire sens : ce surgissement brut reflète aussi la façon dont Elena – et le spectateur avec elle – est confrontée à une réalité encore méconnue. Et là où beaucoup de films auraient psychologisé ce sujet, Slow choisit une voie plus juste : ce n’est ni la conséquence facile d’un traumatisme, ni une revendication militante, mais une façon d’être, simple et entière.

Slow est un film discret mais qui résonne longtemps après la projection. Il ne cherche pas à imposer de réponses ou à surligner son propos. En refusant les normes relationnelles attendues, en filmant un amour qui s’invente hors des chemins battus, Marija Kavtaradze propose une alternative douce et lucide à la représentation du couple. Elle filme l’incertitude et le tâtonnement comme une possibilité d’épanouissement. Ce n’est pas un film spectaculaire, ni didactique, c’est une œuvre à l’image de ses personnages : sensibles et singuliers. Et il s’adresse à tous ceux qui ont déjà eu à négocier entre ce qu’ils désirent et ce que l’autre peut offrir. 

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RÉALISATRICE : Marija Kavtaradze
NATIONALITÉ :  Lituanie
GENRE : Romance, drame
AVEC : Greta Grineviciute, Kestutis Cicenas
DURÉE : 108min
DISTRIBUTEUR : Tandem Films
SORTIE LE 6 Août 2025 au cinéma