Sirat : voyage au bout de l’enfer

Les connaisseurs avaient repéré le talent d’Oliver Laxe lorsqu’il a remporté le Grand Prix Nespresso de la Semaine de la Critique avec son deuxième film, Mimosas, la voie de l’Atlas, en 2016, presque dix ans auparavant. Son sens du paysage et du cadrage sautait aux yeux des spectateurs les moins attentifs, ainsi que son travail expérimental sur la bande sonore. S’y illustrait également une intense spiritualité, l’ensemble de toutes ces qualités se retrouvant également Viendra le feu, son deuxième opus, récompensé du Prix du Jury Un Certain Regard. Dans Sirat, présenté à Cannes cette année, coproduit par Pedro Almodóvar (alors que leurs cinémas diffèrent assez sensiblement), Oliver Laxe passe la vitesse supérieure, si l’on peut parler ainsi d’un film d’aventures routières. Sirat commence comme une recherche familiale d’un enfant disparu, dans un milieu de ravers électro, avant de muter brutalement en version moderne du Salaire de la peur (ou de Sorcerer, le formidable remake de Friedkin), pour finir en Voyage au bout de l’enfer, dans un désert cruel et impitoyable.

Luis et Esteban, un père et son fils, parviennent à une rave perdue au cœur des montagnes du sud du Maroc. Ils cherchent Mar — fille et sœur — disparue depuis plusieurs mois lors de l’une de ces fêtes sans fin. Plongés dans la musique électronique et une liberté brute qui leur est étrangère, ils distribuent inlassablement sa photo. L’espoir s’amenuise, mais ils s’obstinent et suivent un groupe de ravers vers une dernière fête dans le désert. À mesure qu’ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante, le voyage les confronte à leurs propres limites.

Sirat se métamorphose et passe sans effort apparent d’une odyssée familiale, où l’on recherche une fille disparue, à un parcours incroyablement dangereux sur des routes montagneuses, pour finir dans un combat chaotique et sans pitié avec la mort

Présenté dans la conférence de presse de la Sélection officielle du Festival de Cannes, presque comme un film misérabiliste, sur une communauté de déclassés économiques, Sirat est en fait de manière masquée un authentique film de genre, – sous la forme d’un film d’aventures, voire d’un thriller insoutenable -, et à la fois bien plus que cela. Certes il s’agit aussi, par ailleurs de la description documentaire d’un groupe de marginaux, les ravers qui célèbrent la musique électronique, de fête en fête. Mais aussi et surtout d’un film apocalyptique, d’un film de fin du monde, (George Miller n’est pas si loin) où les nouvelles du monde annoncées par la radio, préviennent d’une fin imminente, et où l’absence de limites du paysage désertique confronte chaque personnage à la finitude de son destin. On n’est pas près d’oublier ce plan poétique d’immenses enceintes posées au milieu d’un espace désertique.

Comme beaucoup de grands films, Sirat se métamorphose et passe sans effort apparent d’une odyssée familiale, où l’on recherche une fille disparue, à un parcours incroyablement dangereux sur des routes montagneuses, pour finir dans un combat chaotique et sans pitié avec la mort. Alors que certains des éléments scénaristiques du film pourraient très facilement basculer dans le mélodrame le plus convenu, la sécheresse sans aspérités de la mise en scène leur confère une véritable émotion dépourvue de pathos et pleine d’humanité. Signalons également la beauté envoûtante de l’environnement sonore du film qui, à elle seule, à base d’électro et de techno, vaut le déplacement, en martelant des rythmes et des sonorités en échos obsédants qui restent longtemps en mémoire.

Comme beaucoup d’autres grands films, Sirat fonctionne à la fois sur un plan strictement narratif, ainsi que sur un aspect purement métaphorique, et enfin en accédant à une dimension métaphysique, Sirat trouve son origine dans les textes saints islamiques, en particulier le Coran, et désigne le pont suspendu au-dessus de l’enfer qui sépare les croyants des non-croyants, chacun devant traverser cet obstacle ultime vers le paradis ou l’enfer. Le prophète Mahomet a parlé de ce pont comme étant « plus fin qu’un cheveu et plus tranchant qu’une épée » ; cette expression reprise en épigraphe pourrait convenir au film d’Oliver Laxe : paradoxalement, l’enfer vécu par les personnages représente un véritable paradis cinématographique pour les spectateurs.

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RÉALISATEUR : Oliver Laxe 
NATIONALITÉ :  espagnole
GENRE : drame
AVEC : Sergi López, Bruno Núñez, Jade Oukid
DURÉE : 2h 
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution 
SORTIE LE 3 septembre 2025