Severance saison 2 : les fêlures de l’identité

Derrière ses couloirs blancs, son esthétique clinique et ses chorégraphies absurdes, Severance ne parle pas que de l’entreprise. Ni même uniquement du capitalisme. Ce que la série développe, c’est l’idée même de la séparation de l’individu. En séparant l’être humain en deux (l’innie, personnalité dans l’entreprise et l’outie, personnalité en-dehors), elle ne fait pas que mettre en scène un dispositif narratif vertigineux, elle propose une réflexion bouleversante sur ce que veut dire « être soi ».

Alors que la première saison se terminait sur la visite du monde extérieur par les outies et son lot de révélations, cette seconde saison montre les résultats de cette rébellion. Fidèle à elle-même, l’entreprise Lumon met en place une contre-attaque envers Mark et son équipe, mais cela ne suffira pas. La direction n’aura d’autre choix que de s’incliner face aux exigences de Mark. Mais est-ce fait purement dans le but de le satisfaire, ou bien Lumon a-t-il secrètement besoin de lui pour leurs plans et ce mystérieux projet « Cold Harbor » ?

Ce n’est pas un hasard si Richard C. Schwartz et son modèle des « Système Familial Intérieur » (SFI) viennent rapidement en tête quand on cherche les inspirations de la série. L’idée qu’en nous coexistent plusieurs « parties », chacune née d’un besoin de protection, d’un traumatisme, etc. résonne parfaitement avec ce que Severance met en images. Dans ce monde cloisonné, chaque personnage est littéralement divisé, non pas entre bien et mal, mais entre douleur et contournement, entre blessure et tentative de vivre malgré tout.

Mark en est le meilleur exemple : son « innie », privé du souvenir de la mort de sa femme, est une version de lui-même qui n’a jamais souffert. Un « lui » plus léger, plus disponible, mais aussi sans passé. Il devient presque une autre personne. Et c’est là que la série appuie fort : si l’on efface la douleur, efface-t-on aussi ce qui nous constitue ? Peut-on aimer de la même manière si l’on est amputé de ses souvenirs ? C’est à cela que tente de répondre cette deuxième saison. Si l’ »innie » Mark aime Helly, et que son « outie » cherche encore Gemma, qu’est-ce qu’il adviendra de l’un ou de l’autre quand ces deux idées se confronteront ?

Belle, intrigante et grandiose, si cette seconde saison, elle met du temps à se lancer, ce n’est que pour mieux terminer et nous donner envie de voir la suite.

Derrière ces dilemmes intimes se joue une critique mordante du monde du travail. Severance ridiculise les entreprises modernes et leurs soi-disant « valeurs humaines », avec leurs plats aux œufs durs déposés symétriquement, ou encore leurs « moments de danse exceptionnels » et autres fanfares. Mais elle va plus loin : elle dénonce une société dans laquelle l’individu n’est plus qu’un fragment, assigné à une fonction, amputé de ses contradictions, anesthésié. Ce que Lumon fabrique, ce ne sont pas seulement des employés ; ce sont des consciences édulcorées, façonnées pour obéir, au nom d’un idéal absurde de productivité.

Et pourtant, la série ne se contente pas de démonter un système. Elle cherche, à travers ses personnages, une issue. Une voie vers la réconciliation. Peut-être pas une synthèse parfaite entre l’innie et l’outie, mais un dialogue. Une façon de reconnaître toutes nos parts, même celles qui gênent, qui dérangent ou qui pleurent. Car si l’on ne peut pas être « entier », alors au moins peut-on être à l’écoute.

C’est dans tout cela que le jeu des acteurs crève l’écran. Parce que si l’on parle de Mark (interprété par Adam Scott) depuis tout à l’heure, le reste du casting est, par certains moments, pas loin de lui voler la vedette. Que ce soit Helly (Britt Lower), Irving (John Turturro), Dylan (Zach Cherry), Burt (Christopher Walken) ou Harmony (Patricia Arquette) pour ne citer qu’eux, tous jouent leurs rôles à la perfection. Peu importe la scène, qu’ils soient seuls, perdus dans leurs pensées ou en pleine discussion, la manière qu’ils ont de jouer leurs rôles est saisissante. S’il ne fallait en retenir qu’un (en-dehors d’Adam Scott), ce serait très probablement Tramell Tillman (interprétant Seth Milchick), tant il arrive à jouer son rôle à multiples facettes avec autant de facilité.

Mais comme rien n’est parfait, l’un des rares points négatifs de cette saison, ce serait sans doute sa fâcheuse tendance à allonger les scènes plus que nécessaire. Cela amène donc à avoir un rythme relativement lent, voir trop lent par moments. Cette saison compte 10 épisodes (un de plus que dans la saison 1), et il aurait été tout à fait possible de raconter la même chose avec un épisode de moins. Mais bien que le rythme soit un peu difficile à apprécier, l’histoire racontée et la mise en scène font que nous restons attirés par cet univers si particulier.

Cette seconde saison de Severance réussit donc à faire aussi bien que la première et la dépasse même régulièrement sur tous les aspects. Belle, intrigante et grandiose, si elle met du temps à se lancer, ce n’est que pour mieux terminer et nous donner envie de voir la suite. Espérons seulement que l’attente ne sera pas aussi longue.

4.5

CRÉATEURS : Ben Stiller, Dan Erickson
NATIONALITÉ :  Américaine
GENRE : Thriller
AVEC : Adam Scott, Britt Lower, John Turturro, Zach Cherry, Patricia Arquette
DURÉE : 10 x 50min
DISTRIBUTEUR : Apple +
SORTIE LE 17 janvier 2025