Serre-moi fort : une femme à la dérive

Dans la désormais fameuse section créée cette année par Thierry Frémaux, Cannes Premiere, pour empêcher les « abonnés » cannois de fuir la Sélection Officielle vers la Quinzaine des Réalisateurs (citons les plus ou moins récents exemples de Desplechin pour Trois souvenirs de ma jeunesse, ou Coppola pour Tetro), voisinaient Arnaud Desplechin et son acteur fétiche Mathieu Amalric. Or ce dernier a eu plus de succès cannois que son mentor, en obtenant le Prix de la mise en scène pour Tournée, prix que Desplechin n’a jamais obtenu. Avec Serre-moi fort, Mathieu Amalric signe son septième film. Depuis La Chambre bleue, adapté de Simenon, il s’est fait une spécialité de tisser une toile entre passé, présent et avenir. Si ces procédés de complexification scénaristique passaient plutôt bien dans Barbara, entremêlant mise en abyme, flash-backs et flash-forwards, Serre-moi fort paraît privilégier la virtuosité d’un jeu intellectuel un peu vain au détriment d’une émotion a priori recherchée.

Une femme, Clarisse, fuit parce qu’il lui est insupportable d’être quittée par ceux qu’elle aime. En flirtant aux lisières de la folie, elle se sauve, dans tous les sens du terme.

Malgré la performance de Vicky Krieps (Old, Bergman Island). qui confirme à chaque plan qu’elle est l’une des comédiennes les plus intéressantes du moment, depuis Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, Serre-moi fort se contente d’appliquer les leçons d’une déconstruction temporelle dépourvue d’âme et d’émotion.

Il est particulièrement difficile d’écrire sur Serre-moi fort sans devoir révéler des élements fondamentaux de l’intrigue. On va pourtant s’y astreindre pour ne pas gâcher a priori le plaisir que certains spectateurs pourront trouver à cette histoire alambiquée. C’eût été trop simple de raconter ce qui aurait trop ressemblé à un mélodrame de manière linéaire. Trop simple mais peut-être bien plus émouvant. On ne peut s’empêcher en regardant Serre-moi fort de se demander pourquoi une telle débauche d’effets narratifs ne parvient à déboucher que sur un dispositif relativement froid. Une femme part en voiture, quittant apparemment sa famille mais est-ce vraiment la réalité? Que fuit-elle, sinon peut-être elle-même? On ne peut guère en dire plus sans tout révéler d’un film, dont le principal intérêt réside dans une construction scénaristique sophistiquée. Disons sans préciser les choses que Shyamalan ou Aménabar rôdent assez près du film d’Amalric et l’ont quasiment biberonné.

Or ces metteurs en scène procédaient par un twist extrêmement frappant et choquant, alors qu’Amalric a décidé de mélanger allégrement passé, présent, futur, voire même conditionnel, pour mieux brouiller les pistes. Une femme s’en va mais la raison de son départ est complètement désactivée par le suspense artificiel qu’Amalric essaie de faire naître à partir de scènes parallèles qui ne se rejoignent jamais. Tout au plus, pourrait-on dire que les personnes concernées au plus haut chef par la thématique familiale et qui auraient formé une famille pourraient se montrer plus réceptives et moins réfractaires à l’assèchement du dispositif formel mis en place par Amalric. Le film roule au rythme du personnage de Clarisse, mais roule à vide comme elle qui ne dispose plus du moindre carburant d’émotion. Seules quelques scènes (Clarisse débarquant dans un concours de musique, Clarisse au volant chantant du JJ Cale) échappent à un marasme intellectuel qui tente d’assembler les éléments du film comme un puzzle digne d’une oeuvre d’Alain Resnais. Malheureusement, n’est pas Resnais qui veut. Pour préserver l’intérêt, en dépit de la complexité narrative, Resnais possédait un style cinématographique souverain et élégant qui tranchait dans le vif et restait toujours limpide et cristallin. Malgré la performance de Vicky Krieps (Old, Bergman Island). qui confirme à chaque plan qu’elle est l’une des comédiennes les plus intéressantes du moment, depuis Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, Serre-moi fort se contente d’appliquer les leçons d’une déconstruction temporelle dépourvue d’âme et d’émotion.

2.5

RÉALISATEUR : Mathieu Amalric
NATIONALITÉ : française
AVEC : Vicky Krieps, Ariel Worthalter, Anne-Sophie Bowen-Chatet 
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h37 
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution
SORTIE LE 8 septembre 2021