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Seize printemps : à l’ombre d’une jeune fille en fleurs

Avec Seize printemps, Suzanne Lindon s’empare d’un sujet relativement balisé, les premiers émois amoureux adolescents. Selon les cinéastes, une telle matière peut donner des résultats très divers et contrastés : d’un côté, L’Effrontée de Claude Miller, film aimable et populaire, du moins en apparence ; de l’autre, des films plus âpres et cruels comme A nos amours de Maurice Pialat et 36 fillette de Catherine Breillat. Pour son tout premier film, la fille de Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon possède déjà sa petite musique très personnelle et trace sa voie, en montrant une toute autre définition du sujet. C’est très personnel, cela ne plaira peut-être pas à tout le monde mais c’est déjà un très beau geste de cinéma.

Suzanne a seize ans mais se sent à part de ses camarades du même âge. Un beau jour, elle croise devant un théâtre un homme nettement plus âgé qu’elle. Elle n’a de cesse de le recroiser et de lui adresser la parole. L’improbable finit par arriver…

Seize printemps signe l’éclosion prometteuse d’une véritable cinéaste, filmant des moments qui n’appartiennent qu’à elle, ce qui n’est pas si courant de nos jours.

Suzanne Lindon revendique sa filiation de cinéma et la part autofictionnelle qu’elle peut y investir en donnant son propre prénom à son héroïne qu’elle choisit d’incarner elle-même. Suzanne comme le personnage de Sandrine Bonnaire dans A nos amours de Maurice Pialat. Néanmoins elle a l’intelligence de ne pas vouloir se confronter à ce géant du cinéma français. Elle préfère rester bien au contraire sur un territoire qui n’appartient qu’à elle, en restreignant au maximum volontairement son champ d’action : peu de personnages (elle, la famille, Lui, quelques amis et copines, et c’est à peu près tout), quelques lieux (la maison familiale, un café, un théâtre), peu de dramatisation, une suite d’instants suspendus, volés au temps. Certains pourraient s’agacer et considérer que Seize printemps n’est qu’un sujet de court métrage un peu étiré. Rien de plus faux pourtant : Suzanne Lindon, avec une maturité affolante pour son jeune âge (à peu de choses près, celui de son héroïne), maîtrise sa durée et son économie de moyens. La durée assez courte de son premier long métrage coïncide parfaitement avec le temps des émotions de son histoire.

On pourrait penser aussi que l’essentiel du film tient au charme très gainsbourien de sa protagoniste, placée au départ dans un univers très Diabolo Menthe. Or Suzanne Lindon fait soudainement décoller son film vers de l’inédit, en montrant à une terrasse de café le synchronisme physique et mental de deux personnes écoutant du Vivaldi. D’une très jolie manière, elle s’est ainsi inspirée des chorégraphiques dérivées du quotidien de Pina Bausch. Passe alors l’idée très belle que l’amour, c’est du synchronisme physique, cela passe par une entente des corps, réitérée par les scènes de danse du film, entente qui n’a rien a priori de sexuel, mais relève de la pure sensualité. Le film, contrairement à beaucoup de films sur le même sujet, élude avec pudeur la question du sexe, comme étant tout simplement hors sujet. Se passant de toute verbalisation, l’amour passe par les regards et une entente préalable et silencieuse des corps qui n’a pas besoin d’une finalité sexuelle pour se concrétiser. C’est toute la signification de ces slows de Christophe (La Dolce vita, Petite fille du soleil, Les Marionnettes) filmés en continuité, qui font éprouver la permanence de ce sentiment. Si l’on ajoute la musique originale de Vincent Delerm à ces contributions de Vivaldi (Stabat Mater : Eia Mater, fons amoris ) et de Christophe, on comprendra sans peine que le cinéma de Suzanne Lindon est avant tout d’essence musicale et rejoint par moments la pureté du cinéma muet. En dépit d’un (léger) manque d’aboutissement dans le développement, Seize printemps signe l’éclosion prometteuse d’une véritable cinéaste, filmant des moments qui n’appartiennent qu’à elle, ce qui n’est pas si courant de nos jours. A confirmer pour l’avenir mais cette promesse est plus que belle.

3.5

RÉALISATEUR : Suzanne Lindon
NATIONALITÉ : française
AVEC : Suzanne Lindon, Arnaud Valois, Florence Viala
GENRE : Drame, Romance
DURÉE : 1h16
DISTRIBUTEUR : Paname Distribution
SORTIE LE 16 juin 2021