Ryuichi Sakamoto Opus : comment vous dire adieu…

Le documentaire musical est un genre cinématographique particulier, assez codifié, alternant passages de concerts filmés, interviews des artistes eux-mêmes ainsi que de spécialistes expliquant face caméra l’importance et tout le bien qu’ils pensent d’eux. Ryuichi Sakamoto Opus s’en démarque de manière assez radicale en choisissant de filmer, avec une belle sobriété, le concert d’adieu du célèbre compositeur japonais qui décèdera six mois après le tournage.

Ryuichi Sakamoto Opus s’en démarque de manière assez radicale en choisissant de filmer, avec une belle sobriété, le concert d’adieu du célèbre compositeur japonais qui décèdera six mois après le tournage.

Automne 2022. Ryuichi Sakamoto, atteint d’un cancer, n’a plus la force de se produire en concert. Seul au piano, sans public, il interprète vingt morceaux emblématiques, dont l’ordre scande sa vie d’artiste, parmi lesquels des extraits de Furyo et Le Dernier Empereur. Entouré de ses plus proches collaborateurs et enregistré dans l’intimité du mythique studio 509 de la NHK, à l’acoustique exceptionnelle, Sakamoto se livre comme jamais, lors d’une ultime performance lui permettant de faire ses adieux. Réalisé par Neo Sora, fils du compositeur, le film documente cette captation de manière épurée et poétique en forme d’élégie à travers un dispositif dont la simplicité parvient à restituer la profondeur de l’œuvre de cet immense artiste décédé le 28 mars 2023.

Sur le plan purement esthétique, le long métrage documentaire bénéficie d’une superbe image en noir et blanc

Sur le plan purement esthétique, le long métrage documentaire bénéficie d’une superbe image en noir et blanc. Un choix qui se révèle judicieux, ajoutant à l’ensemble (qui n’en manque pas) une touche de mélancolie mais aussi un sentiment de plénitude total lorsque l’on voit, de façon intimiste, le musicien seul face au piano, instrument qu’il a utilisé à de très nombreuses reprises dans ses mélodies les plus célèbres tout comme dans ses compositions les plus personnelles et moins connues, mais auxquelles il tenait beaucoup.  

Cet aspect épuré, sans ajout de voix off ou de paroles (si ce n’est, parfois, celles du maestro au moment d’une pause), sans images d’archives, et que l’on observe à tous les niveaux (décors du studio, pas d’orchestre ni d’autres musiciens), est parfaitement en adéquation avec la démarche du réalisateur. Ce moment est une célébration des notes, de l’art musical dans ce qu’il a de plus pur : Ryuichi Sakamoto Opus apparaît alors comme une œuvre d’art dans sa globalité qui entend non seulement capter les fameuses mélodies (un album a été publié en 2023 en édition collector, difficile à trouver aujourd’hui), les enregistrer une dernière fois mais aussi qui réfléchit à la manière dont cela peut être rendu sensiblement à l’écran (ce qui justifie d’ailleurs sa sortie dans une salle de cinéma). Si le dispositif est simple, pouvant peut-être apparaître comme un peu trop statique (ce qu’il n’est pas en réalité), il n’en demeure pas moins qu’il permet de restituer toute la beauté et la profondeur de l’œuvre de Sakamoto. Ryuichi Sakamoto Opus a d’ailleurs été « composé » : le réalisateur Neo Sora a fait un story-board, demandant à son père de lui donner la liste des pièces qu’il jouerait, dans un ordre qui n’a pas été laissé au hasard puisqu’elles racontent sa vie à travers sa musique et couvrent toute sa carrière (à noter que les trois derniers morceaux sont Happy End, l’emblématique Merry Christmas Mr. Lawrence et Opus Ending). Par des choix de cadrage pertinents, une belle variété de plans (qui permettent ainsi de se concentrer uniquement sur les sons et la prestation délicate de Sakamoto), loin de tout sensationnalisme, Neo Sora donne vie à cette célébration. Il suffit, pour le prouver, d’évoquer les derniers plans sublimes lorsque les touches du piano bougent alors que le compositeur n’est plus présent : une façon, très poétique, de nous dire que, malgré la disparition programmée, la musique reste et restera à tout jamais.

Par des choix de cadrage pertinents, une belle variété de plans (qui permettent ainsi de se concentrer uniquement sur les sons et la prestation délicate de Sakamoto), loin de tout sensationnalisme, Neo Sora donne vie à cette célébration

En somme, Ryuichi Sakamoto Opus est bien un dernier « tour de piste » au sein d’un studio réputé pour son acoustique parfaite, une sorte de recueillement, mis en scène avec une grande élégance et qui se révèle être bouleversant, dépassant largement le simple cadre de l’hommage convenu. Une évidence surgit alors à l’issue de ce très joli moment : réécouter les compositions de Ryuichi Sakamoto, en les appréciant à leur juste valeur, comme, par exemple, l’une de ses dernières œuvres, composée pour le très beau film de Hirokazu Kore-eda, L’Innocence (2023) et dont l’un des morceaux (Aqua) fait partie du corpus que l’on peut entendre dans le documentaire.

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RÉALISATEUR : Neo Sora
NATIONALITÉ : Japon
GENRE : Documentaire musical
AVEC : Ryuichi Sakamoto 
DURÉE : 1h43
DISTRIBUTEUR : Potemkine Films
SORTIE LE 30 juillet 2025