Dans le cinéma français, hormis la présence constante de Robert Guédiguian, peu de cinéastes s’inscrivent sur le terreau idéologique de gauche, à la manière d’un Ken Loach en Angleterre, pour dénoncer les scandales et les injustices. Farid Bentoumi vient combler ce vide. Son deuxième film, après Good luck Algeria, Rouge, porte le label Cannes 2020, ayant été sélectionné lors de cette année qui fut catastrophique pour le cinéma, en raison de la pandémie qui continue à impacter nos vies. Néanmoins il s’agit d’un autre scandale, cette fois-ci écologique, sur les rejets polluants d’une usine chimique, dont Rouge traite les tenants et les aboutissants. Film-dossier, aussi solide qu’efficace, Rouge a valeur d’utilité publique, tout comme il brille par l’interprétation sans failles de sa distribution impeccable.
Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine chimique où travaille son père, délégué syndical et pivot de l’entreprise depuis toujours.
Alors que l’usine est en plein contrôle sanitaire, une journaliste mène l’enquête sur la gestion des déchets. Les deux jeunes femmes vont peu à peu découvrir que cette usine, pilier de l’économie locale, cache bien des secrets. Entre mensonges sur les rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués ou accidents dissimulés, Nour va devoir choisir : se taire ou trahir son père pour faire éclater la vérité.
Film-dossier, aussi solide qu’efficace, Rouge a valeur d’utilité publique, tout comme il brille par l’interprétation sans failles de sa distribution impeccable.
Un père, une fille travaillant dans la même entreprise, un conflit social et syndical, un scandale, un revirement de l’enfant qui va mettre son père en porte-à-faux dans son entreprise, cela ne vous évoque rien? Si vous répondez Ressources humaines de Laurent Cantet, vous n’aurez pas tort. Rouge partage la même mécanique scénaristique, parfaitement huilée, de remise en cause entrepreneuriale et de conflit oedipien, le film ayant été réécrit pour donner le rôle principal à une femme, donnant une touche féministe à l’ensemble. Le film suit les traces d’un scénario aux rouages bien ouvragés mais oublie quelque peu d’inventer une forme inédite, en se limitant à une illustration efficace, hormis quelques beaux plans d’ensemble, de paysages gangrénés par la couleur rouge. Se situant dans le même registre de film-dossier sur un scandale écologique, Todd Haynes se permettait, quant à lui, d’injecter de vrais moments de cinéma au sein de Dark Waters.
Il n’en demeure pas moins que la grande force de Rouge relève de la formidable cohérence de la distribution : Zita Henrot, Sami Bouajila, Céline Salette, Olivier Gourmet, sont tous absolument parfaits dans leur rôle, au point qu’on espérerait presque un contre-emploi pour permettre une petite surprise dans ce réquisitoire issu d’une histoire vraie, celle de l’usine de Gardanne. Cela s’avérerait sans doute dommageable pour un film qui met autant en valeur la véracité de ses personnages. Dans le paysage cinématographique français, on avait sans doute besoin d’un metteur en scène qui puisse développer une fibre sociale et écologique et mettre à son service une belle équipe de comédiens talentueux et engagés. Nous l’avons trouvé en la personne de Farid Bentoumi qui sait orchestrer de belle manière la montée en tension des conflits, et donner la vedette à une formidable jeune femme (excellente Zita Henrot), souffrant du complexe d’Electre, déchirée entre son affection pour son père et son sens du devoir et de la collectivité. On peut espérer pour la suite qu’il saura dégager davantage de moments de cinéma dans le cadre de plaidoyers justes et nécessaires.
RÉALISATEUR : Farid Bentoumi NATIONALITÉ : francaise AVEC : Zita Henrot, Sami Bouajila, Céline Sallette, Olivier Gourmet GENRE : Drame, thriller DURÉE : 1h28 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 11 juillet 2021