Rosalie : représenter la différence

Présenté dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2023, la nouvelle réalisation de Stéphanie Di Giusto, Rosalie, s’attaque à un sujet ambitieux, à savoir la représentation de la particularité physique, ici le mythe de la femme à barbe. En partant d’un thème peu exploré dans le cinéma français, la réalisatrice de La Danseuse avait donc l’occasion de mettre en avant sa propre définition de la différence, de raconter la vie de cette femme à l’aspect singulier, à une époque où les foires exhibaient ce que l’on appelait des monstres humains. Dans Rosalie, pas question d’évoquer directement la monstruosité à la manière d’un David Lynch. Cependant, et même avec une idée vraiment intéressante, la cinéaste empile les erreurs dans le traitement, donnant une description maladroite de ce que signifie être différent. Peinant énormément à maîtriser son film, elle produit un long-métrage extrêmement lisse, rentrant que trop superficiellement dans son thème.

Stéphanie Di Giusto tente vainement de tisser une histoire autour de cette femme possédant une telle caractéristique, à une époque où les phénomènes de foires se montraient devant des centaines de regards, curieux de contempler honteusement ces personnes différentes. Rosalie ne verse pas dans le voyeurisme à outrance, néanmoins l’impression d’assister à une mauvaise exhibition de la différence se remarque rapidement, laissant ainsi peu de doutes sur les possibles conflits entre personnages, entre dégoût et rejet.

En introduisant Rosalie dans un contexte ouvrier, campagnard, promise à un homme souffrant de maux de dos, tout laissait présager que sa particularité allait attirer les regards. Pourtant, cette relation contrainte et forcée entre deux êtres humains en pleine souffrance, devait constituer le point de départ d’une philosophie, celle de pouvoir aider l’autre à accepter son corps et à s’affirmer, faire de ces différences une force et non une faiblesse. Peu d’éléments positifs ressortent finalement de cette rencontre accouchant d’une relative et trop fragile proximité, contenant quelques moments charnels, mais bien peu pour élaborer une union solide face aux jugements d’autrui. Filmé de façon plate et non inspiré, ce rapprochement sans envergure et relief déstabilise l’ensemble de la déjà maigre construction scénaristique qui se base uniquement sur cette relation censée ériger une barrière contre toutes les formes d’appréciations négatives. Stéphanie Di Giusto met en images une histoire d’amour stérile, avec peu d’investissement, d’implication, et un style narratif très académique. Ce qui devait représenter toute la puissance de Rosalie se transforme en lacune, avec une certaine difficulté à faire de cette rencontre improbable quelque chose de magique, d’unique, où la différence s’efface, où le regard d’autres personnes ne se ressent plus. Benoit Magimel et Nadia Tereszskiewicz forment un couple atypique, la douceur de l’acteur se mélangeant à la candeur de l’actrice récompensée lors des Césars 2023. L’interprétation, de qualité, ne masque pas le côté poussif de la mise en scène, Stéphanie Di Giusto démontrant son principal défaut, celui de ne pas pouvoir contrôler totalement son œuvre qui, comme La Danseuse, devient bien inégal. Répondant à un schéma classique, Rosalie ne parvient pas à répondre aux multiples interrogations, quelques clichés redondants venant alourdir considérablement le récit.

Stéphanie Di Giusto échoue dans sa tentative de représentation de la différence, qu’elle effectue de manière maladroite. Couvert de poils, son personnage décide de s’exhiber fièrement devant une foule ébahie, suscitant autant de fascination que de méchanceté. En dévoilant bien vite l’extrême pilosité du corps de son personnage, la cinéaste procède, malgré elle, à une véritable exhibition, présentant cette Rosalie comme un phénomène de foire. L’écriture insiste sur ce fait, celui de pouvoir s’assumer en public. Cependant, ceci s’accompagne de nombre d’attitudes, le rejet, le dégoût, assez prévisibles, donnant un sentiment dérangeant et humiliant. En voulant expliquer sa propre vision de ce que c’est d’être différent, le film propose une réponse scolaire, se contentant de jeter cette pauvre femme à la vindicte populaire, avec la présence de personnages la repoussant complètement. Cliché sur le jugement, la curiosité, le dédain, tout y passe, Rosalie se transforme en représentation de la monstruosité. Alors que ce personnage aurait dû faire prendre conscience des notions de respect et de tolérance, nous voici face à un étalage de tous les mauvais ressentiments. Rosalie déçoit, et sa tentative d’incursion dans le cinéma de genre ne donne aucun résultat probant. Seul le tandem Teresczkiewicz-Magimel fonctionne un peu, sauve légèrement ce récit, ces deux êtres souffrant de douleurs physiques ou morales, finissant par éprouver une réelle attirance, pleine d’acceptation et d’amour, faisant abstraction de ces poils couvrant tout un corps.

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RÉALISATEUR :   Stéphanie di Giusto
NATIONALITÉ : France
GENRE :  Drame
AVEC : Nadia Teresczkiewicz, Benoit Magimel, Benjamin Biolay, Guillaume Gouix, Gustave Kervern
DURÉE : 1h55
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution
SORTIE LE 10 avril 2024