Romeria : le voyage dans la mémoire de Carla Simón 

L’annonce par Thierry Frémaux, en avril, dernier de la sélection du nouveau projet de la cinéaste catalane Carla Simón en compétition était une excellente nouvelle surtout après deux longs métrages remarqués à Berlin : Été 93 (Prix du meilleur premier film en 2017) et Nos Soleils (Ours d’or en 2022). Poursuivant son exploration de ses traumas familiaux (la réalisatrice a perdu ses deux parents du SIDA alors qu’elle n’était qu’une petite fille), Carla Simón met en scène dans Romeria une chronique autobiographique d’une grande beauté et très poétique qui suit la quête de vérité de son personnage principal, Marina.

Afin d’obtenir un document d’état civil pour ses études supérieures, Marina, adoptée depuis l’enfance, doit renouer avec une partie de sa véritable famille. Guidée par le journal intime de sa mère qui ne l’a jamais quittée, elle se rend sur la côte atlantique et rencontre tout un pan de sa famille paternelle qu’elle ne connait pas. L’arrivée de Marina va faire ressurgir le passé. En ravivant le souvenir de ses parents, elle va découvrir les secrets de cette famille, les non-dits et les hontes…

l’enjeu majeur du film nous est révélé : il sera bien question de voyage dans la mémoire, de souvenirs.

Cette quête de Marina nous est présentée de la plus belle des manières dès les premières images, sublime séquence d’ouverture à partir d’images vidéo amateurs de 1983 et d’une voix off d’une femme racontant son bonheur (tiré du journal intime que tenait sa mère et sur lequel elle s’appuie constamment, tel un fil conducteur tout au long de l’intrigue). Lors du passage suivant, c’est Marina qui apparait à l’écran, sur un bateau, au même endroit mais en 2004. L’association de ces deux séquences est importante, l’enjeu majeur du film nous est révélé : il sera bien question de voyage dans la mémoire, de souvenirs. Et Marina, interprétée avec une belle intensité par la jeune comédienne Llucia Garcia (une révélation qui pourrait lui valoir un prix d’interprétation) sera le pont permettant de relier ces deux époques. Elle aussi filme avec sa caméra les lieux qu’elle croise et qui constituent des marqueurs essentiels. Si elle vient officiellement à Vigo en Galice pour récupérer un document administratif, ce qui la pousse vraiment est sa volonté d’en savoir plus sur ses parents, morts tous les deux du SIDA dans les années 90 et renouer le contact avec ses oncles, ses tantes, ses grands-parents et ses cousins du côté de son père. Une rencontre qui semble, dans un premier temps, bien se dérouler (l’accueil étant bienveillant dans l’ensemble), l’occasion d’échanger à propos de l’histoire de la famille. Mais face aux questions légitimes de Marina, certains esquivent, ne souhaitant conserver que les souvenirs des moments heureux. Il faut dire que les non-dits sont légion chez les Pereiro, notamment au sujet de la mort du fils (sur l’acte de décès, le mot sida n’est pas mentionné : « mort d’une hépatite C »), sans doute par honte et par peur. Si la jeune femme se rapproche plus particulièrement de son oncle Iago et de l’un de ses cousins, elle ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise au sein d’une famille bourgeoise dont elle reste étrangère (l’attitude de la grand-mère, très froide ou le grand-père qui lui tend une enveloppe avec de l’argent pour ses études, sorte de compensation financière rejetée par Marina).

Carla Simón rend compte de tout cela grâce à une mise en scène solaire et très délicate, un mélange d’images réelles et rêvées dans un style contemplatif

Carla Simón rend compte de tout cela grâce à une mise en scène solaire et très délicate, un mélange d’images réelles et rêvées dans un style contemplatif parfois qui s’autorise des échappées poétiques : on peut citer notamment dans la dernière partie du long métrage l’évocation de la vie de ses parents, leurs voyages en voilier ou encore l’apparition d’une échelle en haut d’un immeuble pour accéder au toit dans une scène onirique de rencontre générationnelle. Les temporalités s’entremêlent, Marina se glisse dans les traces de ses parents, imagine leur histoire par le prisme des lieux, les mots du journal intime deviennent des images et Romeria évoque alors la jeunesse pendant les années 80 et 90 (la Movida), touchée par la toxicomanie et l’épidémie du SIDA. C’est ce que précise Carla Simón dans une interview récente : «  » […] cette période de liberté tant attendue, connue sous le nom de « La Movida », a également entraîné l’explosion de la consommation de l’héroïne, faisant de l’Espagne le plus haut taux de mortalité lié au sida en Europe. « 

Romeria confirme l’immense talent de Carla Simón et l’affirmation d’un style personnel

Romeria confirme l’immense talent de Carla Simón et l’affirmation d’un style personnel, la cinéaste étant très à l’aise dans la chronique familiale et les sujets de société. Traversé par de beaux moments, le film laisse surgir l’émotion lorsque Marina obtient, dans l’une des dernières séquences, ce qu’elle était venue chercher : un acte officiel précisant sa filiation avec ses vrais parents, ainsi qu’une parole libérée, une histoire intime reconstituée.

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RÉALISATEUR : Carla Simón
NATIONALITÉ : Espagne, Allemagne
GENRE : Drame
AVEC :  Llúcia Garcia, Mitch, Tristán Ulloa
DURÉE : 1h55
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam
SORTIE indéterminée