Rien à foutre : toute ma vie, j’ai rêvé d’être hôtesse de l’air…

Avec Rien à foutre, présenté à la 60ème Semaine de la Critique et Prix de la Fondation GAN à la diffusion, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre se penchent sur le quotidien mi-figue mi-raisin d’une hôtesse de l’air travaillant pour une compagnie « low cost », Adèle Exarchopoulos offre ainsi son visage émouvant de petite fille à la fois espiègle et mélancolique à Cassandre, une jeune fille sans ambition, perdue dans ses relations sans lendemain et son travail de communication qu’elle effectue sans conviction. Disposant d’un sujet en or, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre réussissent plutôt bien la satire tragi-comique d’un mini-organisme capitalistique, la compagnie Wing, qui enferme ses salariés dans un règlement mais s’effondrent un peu dans leur seconde partie pialatienne, relatant le trauma de Cassandre, quand elle revient dans sa région natale et sa famille. Rien à foutre, en dépit de son titre provocateur, se situe donc de manière assez instable entre scènes de pure comédie et mélodrame introspectif.

Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost. Vivant au jour le jour, elle enchaîne les vols et les fêtes sans lendemain, fidèle à son pseudo Tinder «Carpe Diem». Une existence sans attaches, en forme de fuite en avant, qui la comble en apparence. Alors que la pression de sa compagnie redouble, Cassandre finit par perdre pied. Saura-t-elle affronter les douleurs enfouies et revenir vers ceux qu’elle a laissés au sol ?

Il est difficile d’imaginer une autre actrice qu’Adèle Exarchopoulos dans ce rôle de jeune femme sans qualités, sans ambition ou motivation, n’ayant même plus foi dans le changement politique ou syndical, fataliste et ne croyant plus au grand amour.

Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, auteurs déjà d’Un Château l’autre, documentaire de 40 minutes sur la rencontre entre un étudiant de grande école et une handicapée du troisième âge, ont choisi le prisme d’une compagnie aérienne « low cost », pour décomposer les règles d’une entreprise ayant pour but de satisfaire ses clients : l’essentiel consiste à « booster » les ventes ; peu importent les sentiments des clients ou des hôtesses « toutes ces émotions que tu as, tu dois les mettre de côté. Être dans l’instant présent. Tout le monde s’en fout de tes problèmes personnels, de ce que tu as fais hier, de ce que tu feras aujourd’hui ». Ce faisant, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre actent une dépersonnalisation en cours à travers ce micro-organisme capitalistique. A force de sourire quand elle n’en a pas envie, de se voir réprimander quand elle aide les passagers, de devoir respecter un règlement qui ne préserve rien, surtout pas les passagers, sinon des règles obsolètes (ne pas oublier de se raser les jambes, ne pas empester l’alcool), Cassandre voit progressivement sa personnalité de dissoudre dans les limbes d’un règlement dont elle perçoit à grand’peine l’utilité effective.

Dans ce rôle, Adèle Exarchopoulos, qu’on n’avait plus guère revue à ce niveau depuis son explosion à Cannes en 2013, fait merveille avec son visage d’Arlequin tour à tour jovial ou dépressif. Faisant flèche de tout bois, elle parvient à rendre toute scène en relation avec son métier d’hôtesse de l’air profondément hilarante ou triste (le plan-séquence où elle avoue son trauma familial au téléphone, en écrasant plusieurs larmes). Il est difficile d’imaginer une autre actrice qu’Adèle Exarchopoulos dans ce rôle de jeune femme sans qualités, sans ambition ou motivation, n’ayant même plus foi dans le changement politique ou syndical (« je ne crois pas trop au changement. Je ne sais même pas si je serai vivante demain »). Fataliste et ne croyant plus au grand amour (« j’aime les gens et deux heures après, salut »), Cassandre vit au jour le jour, blasée par une existence a priori de rêve mais ô combien superficielle (« dans la même journée, on a la chance de voir le soleil et la neige ») bien captée dans une veine cassavetienne-pialatienne par le tandem Marre-Lecoustre.

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RÉALISATEUR : Emmanuel Marre et Julie Lecoustre 
NATIONALITÉ : belge
AVEC : Adèle Exarchopoulos, Alexandre Perrier, Mara Taquin
GENRE : comédie dramatique 
DURÉE : 1h52
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution 
SORTIE LE Prochainement