Reste un peu - France - 1h33 - sortie : 16/11/22 - 2022 - Réalisateurs et scénaristes : Gad Elmaleh et Benjamin Charbit - LEGENDE PHOTO : Gad Elmaleh -

Reste un peu : Gad save Marie !

Le film commence comme un documentaire avec une image d’archives où l’on voit le jeune Gad dans son pays d’origine, au Maroc, sur lesquelles se pose sa voix en off, et cela finit dans cette église de Casablanca où son père interdisait à sa sœur et lui d’entrer, en tant que juifs séfarades, et où l’illumination de la Vierge Marie vient confirmer la récente crise de la quarantaine, non pas sexuelle mais religieuse, qu’a vécue l’humoriste. Le film se poursuivra à la manière d’une autofiction dans laquelle ses parents, sa sœur, une vraie religieuse de la communauté des Béatitudes et le véritable Saint Barthélémy, curé de la paroisse Sainte-Cécile à Boulogne, sont les témoins de la possible reconversion via un baptême catholique de Gad Elmaleh. C’est aussi une comédie à la manière des psychanalyses détournées de Woody Allen à laquelle on assiste, faite des passages du one-man show sur la petite scène du Paname parisien, des repas faits de blagues au moins juives de son cousin, ou de dialogues dans lesquels le discours sur la liturgie (horaire des messes, beauté des synagogues, histoire de la Vierge Marie…) sont tournées en dérision tendre. Reste un peu, titre à triple tranchant ou détour, vient nous demander de rester assis devant un film qui emprunte à l’autobiographie d’une star publique vue dans un jour plus intime, comme quand sa mère, Régine, susurre à son fils de 51 ans de passer une nuit chez ses parents plutôt qu’à l’hôtel, ou comme il est question de ne pas rester sur le parvis de l’église mais plutôt d’y entrer, comme en soi-même, pour chercher, trouver, se perdre, dans les méandres d’une spiritualité en train de muter. Telle est la gageure du nouveau film de l’homme aux multiples facettes : projet d’égocentré ou à se recentrer, peu importe, c’est ici à la manière d’une parole d’Evangile que le réalisateur et acteur s’offre à film ouvert.

La gageure du nouveau film de l’homme aux multiples facettes consiste en un projet peut-être égocentré mais à se recentrer, et, peu importe, c’est ici à la manière d’une parole d’Evangile que le réalisateur et acteur s’offre à film ouvert.

Gad rentre de trois années passées aux États-Unis au domicile de ses parents, Régine et David, à Boulogne-Billancourt, où il est accueilli avec tendresse et émotion, un petit carré de chocolat noir sur son oreiller pour s’endormir sucrément… Immédiatement, on est frappés par la beauté des deux personnages, que l’on suivra tout au long, à qui le réalisateur (et fils) a dû mentir sur le fond de son projet pour qu’ils y entrent. Immédiatement, on a l’impression d’être en famille avec eux (ce qui est leur cas !), et, au-delà, auprès d’un couple de parents, appelés Mams et Paps, à l’accent marocain mais d’obédience juive, qui n’a jamais oublié ses origines géographiques, culturelles, religieuses. Marqués ils sont, et fidèles, la fidélité sera en effet un enjeu du film, notamment pour le héros, et relativement au sens du terme d’origine latine renvoyant à la « qualité du fidèle, attaché à ses devoirs », à la « qualité qui fait garder la foi promise ». La nouvelle, pour cette famille d’immigrés, cultivée, richement installée, dont le papa était mime – ce qui laisse imaginer son influence sur Gad Elmaleh –, est que leur fils veut se convertir au catholicisme, en se faisant baptiser et après avoir conscientisé son amour pour la … Vierge ! La scène de la découverte d’une statue ramenée dans la valise du fils par la mère ouvre le nœud qui va les tirailler respectivement, même si Gad utilise le registre comique et presque le burlesque en rendant grotesques leurs attitudes autour d’un sujet et un symbole, plus que nobles, sacrés. C’est ainsi que le spectateur sera amené à partager, depuis la situation initiale, en passant, classiquement et un bon temps imparti, par le nœud, les péripéties, l’élément de résolution, et la situation finale, le récit d’une conversion qui interroge davantage la foi, la spiritualité, l’esprit et le cœur plutôt que la religion, la liturgie, la lettre et les valeurs qui y sont reliées. C’est donc l’histoire (pas vraie) d’un catéchumène – au passage Gad a réellement étudié au collège des Bernardins, à Paray-le-Monial ou a fait une retraite dans l’abbaye de Sénanque – et de l’ensemble des effets que ce choix a sur lui et son environnement : avec les plus proches, dans le familial et l’amical d’un côté ; avec les religieux qui l’accompagnent ou le forment, l’écoutent ou le font réfléchir – avec la sœur, le prêtre, les deux rabbins partagés entre un réalisateur Pierre-Henry Salfati et l’autrice Delphine Horvilleur – d’un autre ; avec des personnages que la vie lui fait rencontrer. On pense particulièrement à Agnès, une jeune femme vouée corps et âme à la religion et à l’entraide, et Raymond – le magnifique acteur Guy Moign, décédé en avril 22, qui n’aura pas vu le film – qui offre des dialogues aussi graves que drôles, qui portent autant sur la philosophie que la politique, le collectif que l’intime…

C’est donc l’histoire d’un mec, comme dirait Coluche, qui (se) cherche, et, loin de se (ou de la) trouver (la Vierge en lui), tente d’accéder à la sérénité…

Reste un peu a ceci de particulier que par le choix des gros plans sur les visages, la fluidité des dialogues pris entre différents registres pour faire vivre au spectateur différents sentiments auxquels il peut forcément s’identifier – de la tendresse à la colère, de l’émerveillement à l’étouffement, de la joie au doute –, des scènes qui frôlent le fantastique – notamment dans l’appartement familial, lors de la découverte de la statue qui alterne des plans saccadés et dans tous les sens, ou lors d’une scène nocturne filmée comme un rêve et durant laquelle Gad croise ses parents, indifférents, habillés de couleur grenat dans le long couloir, ou dans la scène finale lorsque le héros, retourné à Casablanca, pour réentrer dans l’église de ses fantasmes, revoit la statue de la Vierge et semble traversé par une révélation – et la familiarité, pour ne pas dire la tendresse, avec laquelle le tout est filmé, donne au film un caractère sentimental qui le rapproche du film d’amour. Amour des siens, à travers ses parents, sa sœur, ses cousins – avec lesquels on partage des scènes intimes de repas par exemple –, amour des autres avec les religieux, amour de la Vierge, pour qui le héros prétend avoir eu un coup de foudre ! Si Gad se montre dans une sorte de crise, qui peut répondre à la crise de la quarantaine comme à celle de son statut d’artiste qui voit des hauts et des bas dans une carrière faite de ratés, le récit le place plutôt du côté de l’extase, alors même que les personnages juifs les plus proches pensent que c’est une brebis égarée, que son père est prêt à le renier. Extase qui consisterait à chercher son chemin plutôt qu’à le trouver, extase de faire son cinéma et de jouer avec les genres – documentaire, autofiction – tout en s’exprimant sans être coincé dans son rôle de « clown de cirque » comme Raymond le croit, en parvenant à se moquer de clichés d’une tout autre manière que lorsqu’il est seul sur scène, mais en gardant son côté amuseur sans être le bouffon. Diront, diront pas : Gad Elmalleh est peut-être un petit malin qui a su tirer parti de sa crise personnelle pour faire un film qui porte à (en) rire comme à en pleurer, se met au centre d’un récit tout en induisant le spectateur en erreur – tout n’étant pas sa vie –, il n’empêche qu’on est très loin des films tels que Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? (Ph. de Chauveron), et peut-être plus proche de l’actuel titre Les Miens (R. Zem, qu’on voit dans le film) si l’on considère que l’artiste fait un bel hommage aux siens, aux gens, à la recherche d’une vérité personnelle et intime et à l’image : image marquante, perçue comme une métaphore de la solitude intérieure, empruntant à la psychanalyse (des contes de fées), et venue répondre à cette phrase du rabbin « Bienheureux celui qui ne demande pas son chemin à quelqu’un qui le connaît, sinon il risquerait de ne pas se perdre ». Gad Elmaleh choisit ou tente de se re.trouver, il ne semble pas faire genre, mais dans le genre, entre fiction et vérité, sa « mission », converti ou non, est accomplie…

Avoir vu la Vierge, et mourir à tout ce qui s’oppose à l’amour et à la Vie !

3.5

RÉALISATEUR : Gad Elmaleh
NATIONALITÉ : France
AVEC : Régine, Judith et David Elmaleh, Pierre-Henry Salfati, Delphine Horvilleur, Sœur Catherine Thercellin, Père Bathélémy.Nicolas Port, Olivia Jubin, Guy Moign, Rony Kramer, William Azoulay, Roschdy Zem, Redouane Bougheraba, Mehdi Djaadi
DURÉE : 1h33
DISTRIBUTEUR : Studio Canal
SORTIE LE 16 novembre 2022