Sous le regard de curieux, des lumières colorées s’évanouissent dans un ciel orageux. Au loin, une ville s’illumine lentement, le temps reprend son cours. Pour les spectateurs de cette surprenante scène, c’est une nouvelle page qui s’ouvre : une image s’est imposée, elle va rapidement devenir une obsession, une fuite en avant. Bien que père et mari, Roy Neary échappe lentement aux siens. Comme les lumières, il ne laisse dans son sillage qu’incompréhension et grondement. Cette obsession, c’est aussi celle de Steven Spielberg qui, de 1977 à 2023, n’a cessé de graviter autour du thème de la famille. Avec Rencontres du troisième type, son quatrième long métrage métrage (cinquième en comptant la version cinéma de Duel), le cinéaste s’échappe des fonds marins et s’élève vers d’autres cieux. Un premier rendez-vous avec les extra-terrestres dans une carrière parsemée d’étranges rencontres avec des êtres venus d’ailleurs (pas toujours bien intentionnés).
Des faits étranges se produisent un peu partout dans le monde : des avions qui avaient disparu durant la Seconde Guerre mondiale sont retrouvés au Mexique en parfait état de marche, un cargo est découvert échoué au beau milieu du désert de Gobi.
Dans l’Indiana, pendant qu’une coupure d’électricité paralyse la banlieue, Roy Neary, un réparateur de câbles, voit une « soucoupe volante » passer au-dessus de sa voiture. D’autres personnes sont également témoins de ce type de phénomène : Barry Guiler, un petit garçon de quatre ans, est réveillé par le bruit de ses jouets qui se mettent en route.
Roy vit son rêve, quoi qu’il en coûte. Derrière ce comportement immature, on retrouve le thème de l’enfance, cher à Spielberg, mais aussi celui de la fragilité de la cellule familiale, gangrenée par un élément extérieur.
En 1977, le Nouvel Hollywood, un mouvement inspiré par la Nouvelle Vague, se trouve à la croisée des chemins : il faut choisir entre la marginalisation ou le début de l’ère des superproductions. Quelques années avant la fin de cette brève parenthèse, deux jeunes cinéastes commencent déjà à scruter par-delà l’horizon : George Lucas et Steven Spielberg. La même année, ils sortent Star Wars et Rencontres du troisième type. La science-fiction, le cinéma de genre, est à l’honneur, c’est une rupture de ton et un changement important de paradigme. On se met à rêver d’un nouveau monde, le rêve américain de Ronald Reagan, passé d’Hollywood à la Maison-Blanche, approche.
Là où le film de Lucas se déroule dans une galaxie lointaine peuplée de différentes races d’extraterrestres, Rencontres du troisième type s’inscrit dans un contexte bien plus terre-à-terre. En Indiana, un réparateur de câbles, Roy Neary, est témoin d’un phénomène étrange dans le ciel. Son visage brûlé est autant marqué que son esprit : il doit comprendre ce qui s’est passé cette nuit. Une forme l’obnubile sans qu’il ne sache ce que c’est, ni où elle se situe. Ailleurs dans le pays, une mère cherche désespérément Barry, son enfant enlevé lors d’une nuit étrangement lumineuse. Enfin, le savant français Claude Lacombe parcourt le monde à la recherche de réponses : d’où vient ce cargo échoué dans le désert de Gobi, ces avions de la Seconde Guerre au Mexique, et ces entêtantes notes de musique ?
La réponse à ces questions se trouve quelque part dans l’ombre, dans le hors-champ. Comme dans Les Dents de la mer, Spielberg construit son film autour d’un paradoxal duo absence physique/présence permanente. Eblouis, les personnages ne peuvent voir ce qui se cache dans le halo, c’est à la fois un mystère et une invitation. Baigné dans la lumière, Roy se transforme en un Moïse en quête de sa terre promise. Pour atteindre son objectif, le père de famille doit se dépouiller de ce qui l’alourdit : son mode de vie, sa famille et sa maison. Un geste de destruction libérateur, sans remords, une véritable fuite vers un avenir impénétrable. Roy vit son rêve, quoi qu’il en coûte. Derrière ce comportement immature, on retrouve le thème de l’enfance, cher à Spielberg, mais aussi celui de la fragilité de la cellule familiale, gangrenée par un élément extérieur. On ne comprend plus le père de famille, qui agit et parle comme un illuminé, comme sous le coup d’une maladie qui ne dit pas son nom. La communication étant impossible, les liens se défont. Et c’est justement tout l’enjeu de Rencontres du troisième type : créer un langage commun.
Une thématique que l’on retrouve notamment dans Premier Contact de Denis Villeneuve. Dans l’oeuvre de Spielberg, ce sont cinq petites notes du compositeur John Williams qui nous permettent d’échanger avec nos visiteurs nocturnes. Un lexique épuré, pour ne rien dire de plus que l’essentiel. En haut d’un monolithe, la Devils Tower, l’entêtante musique transcende les frontières. Une conclusion mémorable, teintée d’innocence, où se rencontrent l’intime et le collectif, ici et au-delà. Les yeux dans le ciel, on rêve d’ailleurs.
RÉALISATEUR : Steven Spielberg NATIONALITÉ : américaine GENRE : aventure, drame, science-fiction AVEC : Richard Dreyfuss, François Truffaut, Teri Garr DURÉE : 2h15 DISTRIBUTEUR : Park Circus France SORTIE LE 24 février 1978