Monsieur Séguéla, merci de me recevoir. Vous avez déjà réalisé des comédies auparavant (16 ans ou presque, Rattrapages). Docteur ?, sorti en 2019, a eu un Prix des Lycéens au festival de Sarlat, et le Grand Prix du Festival International de Comédie de Liège. Dans le cadre du Rueil Film Festival, j’ai pu découvrir votre film, Un Homme heureux, avec Fabrice Luchini et Catherine Frot, qui sortira le 15 février 2023. C’est un film que je conseille vivement aux lecteurs et aux lectrices, très drôle, frais, léger, avec des répliques bien écrites, et qui, surtout, est un film comique traitant d’un sujet extrêmement délicat, celui de la transidentité. Un Homme heureux possède une excellente rythmique comique qui, je dirais, s’inscrit dans la veine des films de Francis Veber, certains films de Claude Zidi ou même du duo Bourvil-Louis de Funès (La Grande vadrouille, Le Corniaud).
Ce film a donc un scénario original. Pouvez-vous expliquer la genèse de l’écriture ?
Le film a été écrit par deux scénaristes, Guy Laurent et Isabelle Lazare. Ils connaissent une femme trans, qui habite près de chez eux, qui est une amie et qui, un jour, a amorcé sa transition. C’était encore un homme aux yeux des autres. Elle est devenue la femme qu’elle voulait être. Elle était en couple avec une femme. Elle s’est battue, elle a tout fait pour rester en couple avec la femme qu’elle aime. Elle a réussi. Guy Laurent est un scénariste de comédie. Il a notamment écrit Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, mais pas que, et Isabelle Lazare a écrit un film de procès très réussi qui s’appelle Une Intime Conviction. Ça les a inspirés. Ils se sont dits que c’est un sujet de comédie, mais que ce serait une comédie qui commencerait par du vaudeville, mais qui pourrait transitionner vers un autre genre, qui serait plus sentimental ou romantique. C’est une histoire d’amour.
L’écriture a peut-être été rendue difficile, je pense qu’il a fallu éviter de tomber dans la moquerie ou même dans la caricature.
Je vais parler à ma place de metteur en scène, de cette histoire. J’ai découvert le scénario dans sa version initiale. Il a un peu bougé entre le moment où je l’ai reçu et le tournage. Il a encore été modifié ensuite, car on fait des choix au montage. Cette question s’est posée tout le temps. J’imagine qu’elle s’est posée aux scénaristes quand ils ont écrit, et elle était très présente dans leurs esprits. Moi, dans la manière de représenter tout ça, de donner vie à cette histoire, de mettre en scène ces personnages, j’ai effectivement veillé à ce qu’il n’y ait absolument pas de moquerie envers le personnage de Catherine Frot. Cela allait de soi, mais il fallait y parvenir. C’est délicat. De plus, on est sur un fil. Les questions se sont posées jusqu’à la fin du montage, où il m’a fallu faire des choix, essayer de ciseler tout cela pour que le rire soit orienté comme j’en avais envie. Je me réjouis, lors des projections, d’entendre des rires là où je les espérais. Je suis ravi et rassuré, et c’est aussi parce que le public me ressemble. J’ai tenté de faire en sorte que ça me fasse rire, en pensant que ça ferait rire les personnes. J’ai envie que ça déclenche une attention tendre, et que ça alterne d’un registre à l’autre. Le film ose passer d’un genre à l’autre.
Effectivement, il ose passer d’un genre à l’autre. Il est réussi. Dans les répliques, on ne ressent jamais de moquerie ou de caricature. Ainsi, on rit, mais on ne se moque pas. On apprend aussi des choses dans ce film, qui prône un message de bienveillance, de tolérance et d’adaptation. Pensez-vous que le film, sous son côté humoristique, atteint aussi un registre un peu plus dramatique, qui permet de renverser les barrières de la transphobie, à travers les deux personnages interprétés par Catherine Frot et Fabrice Luchini?
J’ai ni cette ambition ni cette prétention. Si déjà, face aux situations provoquées par le film, un spectateur qui ne connaîtrait pas grand-chose à tout ça au début, se pose quelques bonnes questions, je trouve ça super. Après, de là à espérer, ou croire ou même vouloir changer les esprits, je ne me place pas à cet endroit. Je ne dis pas ça par fausse humilité ou modestie.
Concernant le rythme comique, il est aussi dû, à vrai dire, à l’excellente interprétation des deux interprètes, Catherine Frot et Fabrice Luchini. On pense notamment à la scène du restaurant, où l’on rit de bon cœur. Comment vous est venue l’idée d’établir ce duo ? Etait-ce une évidence ?
On répond toujours ça, que c’est une évidence. Cela pourrait vexer si je disais que j’avais pensé à je ne sais pas qui. Mais, la vérité, c’est que j’ai eu réellement beaucoup de chance, parce que les premiers auxquels j’ai pensé, ce sont eux. Ils ont accepté. Donc là, je suis complètement verni. Je ne savais même pas, quand j’ai pensé à eux, qu’ils n’avaient jamais été associés. J’étais ignorant de cette chose. Je ne savais pas qu’ils n’avaient jamais été réunis dans un film. J’ai formé dans mon esprit un couple inédit, presque mythique et prodigieux. Ils étaient l’un en face de l’autre dans cette fameuse scène du restaurant, que j’ai décidé de placer tout au début du tournage du film. C’était un peu risqué parce que la scène a un énorme enjeu dramatique dans le film et qu’il ne fallait pas la manquer. Je me suis dit, allons-y, commençons par le plat de résistance. Les deux m’ont ébloui. J’étais comme un enfant, de les voir l’un en face de l’autre.
On s’aperçoit que ça marche bien, puis c’est un duo très complémentaire. Il y a Fabrice Luchini, qui est un peu dur, et Catherine Frot, qui est un peu plus comique. Ça fait penser aux tandems, comme ceux de Bourvil et De Funès, ainsi que celui de Pierre Richard et Gérard Depardieu.
Concernant le personnage de Fabrice Luchini, le fait qu’il soit maire de sa commune permet-il d’apporter une touche atypique et comique à ce film sur le thème de la transidentité ?
Quelque chose m’a semblé très efficace, sans que cela soit péjoratif, au bon sens du terme. Je pense qu’une bonne comédie se doit d’être efficace, que cela soit une machine bien huilée, qui provoque le rire sans discontinuer. Quelque chose a rendu ça possible, c’est que cela arrive à un homme comme Jean Leroy, ce maire conservateur d’une petite ville. Que ça lui tombe dessus, cela décuple l’effet comique. On va pouvoir s’amuser de la tête qu’il fait, et ça va créer des rires libérateurs. C’est lui dont on va charger la barque, passer d’Édith à Eddy. Je trouve que c’est imparable. Ça m’a plu quand j’ai reçu le scénario. Je me suis dit qu’il y a le portrait de deux France, celle qui a peur du changement, bien incarné par cette ville de Montreuil-sur-Mer, fortifiée par Vauban, et une autre France, plus contemporaine, qui vient percuter cette France rurale. Ce contraste, cette friction, je trouve que ce sont des moteurs de comédies formidables.
On a l’impression aussi que le film dérive de la comédie vers un côté extrêmement sentimental, où la transidentité permet au couple de se renforcer finalement, et qu’il y a une acceptation de cette transition.
Pensez-vous que le titre du film peut avoir une double lecture ? Un homme heureux avec cet homme qui s’épanouit avec sa femme et ce personnage de Catherine Frot qui trouve le bien-être dans sa nouvelle identité.
Il y a un couple, avec une femme qui n’a pas l’air heureuse et un homme qui semble très heureux. Ce maire, qui brigue un énième mandat, qui est content, proche de son adjoint, sûr de rempiler. C’est le baron local. C’est un homme satisfait, jusqu’à que sa femme lui fasse une révélation. Tout s’inverse. Catherine Frot va devenir un homme heureux, celui qu’elle souhaitait devenir. Lui, il est sidéré, et n’est plus heureux. Va t-il le redevenir ? C’est la question que pose le film. Que Catherine Frot soit un homme heureux, le récit ne contient pas de doutes sur ce sujet. Ça fait du bien qu’elle puisse l’être. L’autre question que l’on se pose, c’est vont-ils rester ensemble ?
Dans votre film, on a le ressenti de voir une forme de burlesque, avec ce tandem.
Il y a plus du vaudeville que du burlesque, même si les deux peuvent se rejoindre. Le film a des airs de farce vaudevillesque. Il emprunte à ce genre, avec les encadrements de portes, un intérieur bourgeois, des quiproquos. Le film va faire sa transition, vers un sous-genre de la comédie. Je m’amuse à constater aussi que ce film fasse sa transition de genre, du vaudeville au sentimental.
Je trouve que dans vos films, et en particulier Un Homme heureux, il y a une excellente rythmique, avec des répliques qui s’enchaînent assez rapidement, qui sont souvent très drôles, avec des dialogues ciselés. Vous parliez de comique de situation, de vaudeville. Est-ce que vous avez pensé à des films de Francis Veber, comme Le Dîner de cons ou Le Placard ?
Francis Veber est un maître, un modèle. Je revois tous les ans Le Placard ou Le Diner de cons, des films que j’analyse. Je suis admiratif. Ça me fait rire. C’est tellement bon. Je n’oublierai jamais ces projections, ce sont des films qui ne te laissent pas tranquille, tu ne t’arrêtes pas de rire. Par ailleurs, j’ai un attachement moins viscéral pour de Funès que pour François Pignon, Gérard Depardieu, Pierre Richard. Du côté américain, je raffolais des films des frères Farrelly. J’ai revu plusieurs fois en salle Dumb and Dumber. En faisant des comédies, je m’inspire de celles de mes maîtres.
Je pense également au film Banzaï de Claude Zidi, qui aborde le thème du racisme. Est-ce qu’il vous a aussi marqué ?
Je l’ai vu en salles, mais je ne le connais pas si bien que ça. En revanche, La Zizanie, j’apprécie. Le personnage de Louis de Funès me fait penser à celui de Fabrice Luchini.
Je conclus cet entretien en invitant les lecteurs et les lectrices à découvrir votre nouveau film en salle, et ce pour plusieurs raisons. Le duo Fabrice Luchini-Catherine Frot fonctionne à merveille dans ce film. Cela donne des scènes d’une drôlerie infinie, où vous pouvez rire aux éclats. La seconde raison, c’est votre réalisation et votre excellente structure narrative, ainsi que votre excellente gestion de la comédie. Votre film est idéal pour rire, se divertir, s’évader. Puis, sous son aspect comique, se cache un sujet délicat, celui de la transition de genre. Le film prend le parti d’en rire, et atteint amplement son objectif.
Entretien réalisé par Sylvain Jaufry le 2 février 2023.