« Un film sur la passion », c’est ce que répond Lola Quivoron lorsqu’on lui demande ce qu’est Rodeo, film à travers lequel elle scénarise la pratique d’un art par des jeunes de banlieue : celui du cross-bitume.
C’est sans hésitation que Lola Quivoron consacre son premier long métrage à l’univers du cross-bitume. Si l’on emploie le terme de cross-bitume et pas de rodéo (urbain ou sauvage), comme le titre du film pourrait y laisser penser, c’est parce que ces deux pratiques sont sensiblement différentes et que l’amalgame est rapidement fait entre les deux. Or, la pratique présentée dans l’œuvre de Lola Quivoron est bien celle du cross-bitume et celle-ci avertit sur la nécessité d’utiliser le terme adapté pour le respect de l’intégrité de ceux qui l’exercent.
Rodeo est un film sur la passion. Ce que montre le long métrage, ce que représente la pratique et ce qui anime la réalisatrice, c’est le fait de « se brûler les ailes avec la passion ».
C’est en 2015 qu’elle rencontre cet univers dont elle tombe immédiatement amoureuse. Rapidement entraînée dans la communauté des durty riders, elle est guidée dans ce nouvel univers par le leader de la communauté. Celui-ci l’emmène dans des garages où s’alignent les engins, ainsi que sur le terrain d’expérimentation et d’expression : la ligne désaffectée du 77 .
Ce qui bouleverse Lola Quivoron lorsqu’elle pénètre ce milieu, c’est le lien de la communauté. Au-delà de la pratique en elle-même, de sa maîtrise par les jeunes qu’elle observe qui manient leurs engins tel un artiste peintre manierait son pinceau, il existe ici une dimension politique, communautaire, un lien de partage. En intégrant cet univers, ce sont des passionnés de la pratique qu’elle rencontre, mais surtout des militants politiques qui exercent une passion dont la pratique est interdite par la loi. Ainsi, l’illégalité de cet acte lui donne une partie de sa force. Les durty bikers ne s’arrêteront pas face à un texte de loi. Plus que pratiquer, ils militent et ne cherchent pas à se cacher. En résumé, la pratique du cross bitume est un art engagé.
S’il existe une manière de pratiquer dans la rue, Lola Quivoron expérimente de son côté les entraînements et les rassemblements sur les lignes, et c’est cette pratique à laquelle on accède par le biais de son long métrage.
La réalisatrice le répète, Rodeo est un film sur la passion. Ce que montre le long métrage, ce que représente la pratique et ce qui anime la réalisatrice, c’est le fait de « se brûler les ailes avec la passion ». Le cross-bitume est l’incarnation de la passion qui fait vivre et mourir, des limites qu’on repousse. « La mort à la porte est le moyen d’être dans la vie et de se sentir vivant » affirme-t-elle avec fougue. C’est pour cette singularité de la pratique et tout ce qu’elle représente que Lola Quivoron décide de consacrer son premier long métrage au parcours de Julia.
Rodeo (sans accent, graphie que préfère Lola, à l’américaine) est une référence à la pratique américaine consistant à rider, c’est-à-dire à tenir plus de 8 secondes sur un cheval ou un taureau endiablé. C’est ce qu’incarne le personnage de Julia qui se bat pour se faire une place dans le milieu, pour ne pas en être éjectée. Elle s’accroche pour une pratique qu’elle veut pouvoir exercer. Ni son vécu, ni sa place de novice, ni son statut social de femme ne lui fermeront l’accès à la liberté. Or cette liberté, c’est dans le cross-bitume qu’elle la trouve.
Dans le milieu du cross-bitume, les femmes sont extrêmement rares. La réalisatrice rencontre Julie Ledru, à qui elle confiera par la suite le rôle principal de Julia dans Rodeo, sur les réseaux sociaux sous le nom d’ « inconnue 95 ». Elles décident ensemble d’une rencontre et c’est à partir de ce moment que le projet commence à germer. Elles s’échangent réciproquement histoire et passé. Lola Quivoron s’identifie dans la solitude de Julie, sa violence, ses colères. Tout est fluide entre elles car ils semble qu’elles partagent un même fond de « valeurs». Loin des valeurs traditionnelles, elles ont dessiné leur propre référentiel, fondé sur la reconnaissance, le courage de s’imposer et la volonté d’aider sa famille. Le personnage a ainsi parlé à Julie tout comme Julie a parlé à Lola. Le rôle de Julia semblait écrit pour elle. Un lien de confiance s’est établi en trois ans et si rien n’était acquis au début, car, et cela est important pour Lola Quivoron, rien n’est jamais acquis dans la vie, une relation s’est tissée dans le temps et dans le mouvement. La réalisatrice se lance donc un jour et écrit Rodeo pour Julie.
La question se pose alors, maintenant que l’on a compris une partie du processus de réalisation de Rodeo : d’où Lola Quivoron tenait-elle son envie de créer un film? Etait-elle intrinsèque, ancrée au plus profond de son être depuis sa naissance, ou est-elle arrivée au cours de ses différentes phases d’évolution ?
Pour la réalisatrice de Rodeo, cette question est essentielle car elle embrasse celle du désir.
Alors que son éducation ne fut pas tournée vers la culture, elle se met à lire des livres pour fuir le monde réel avec lequel elle ne veut plus aucun contact.
La cinéphilie a sauvé Lola de la dépression. Alors que celle-ci grandit à Epinay-sur-Seine en banlieue parisienne, véritable lieu d’identification qui fut pour elle un espace de construction personnelle, ses parents déménagent en région bordelaise. Encore jeune, elle n’a d’autre choix que de les suivre.
Sa nouvelle vie est dénuée d’amis. Dans cette nouvelle ville qui n’est pas la sienne, Lola est seule. Elle trouve alors dans la bibliothèque du CDI un moyen d’apaisement, une bouée de secours. Alors que son éducation ne fut pas tournée vers la culture, elle se met à lire des livres pour fuir le monde réel avec lequel elle ne veut plus aucun contact. Elle se met alors progressivement à prendre des DVD, d’abord quelques-uns, puis de plus en plus, avant de comprendre que regarder inlassablement des films d’une variété infinie et ne pouvoir vivre sans, c’est ce qu’on appelle dans le langage courant la cinéphilie.
Elle réalise que le cinéma lui a sauvé la vie, a servi de fil pour recoudre cette plaie dont il reste maintenant une énorme cicatrice.
Dans ces mêmes années de lycée, elle fait la rencontre d’un professeur de philosophie, passionné de cinéma. Il est alors le premier à lui parler du ciné-club où elle se rendra ensuite régulièrement. Mais surtout, il est le premier à lui parler de l’existence de la Fémis (Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son).
Si son parcours universitaire débute par une classe préparatoire dans la région bordelaise, elle est par la suite admise à la Fémis et retourne à Paris. C’est à ce moment que tout se dessine. Elle réalise que son désir de cinéma est relié à la fracture qui a eu lieu dans sa vie au moment où elle passe de la région parisienne à la région bordelaise. Elle réalise que le cinéma lui a sauvé la vie, a servi de fil pour recoudre cette plaie dont il reste maintenant une énorme cicatrice. Mais c’est cette énorme cicatrice qui constitue le berceau de son désir le plus profond de créer.
Échanger avec Lola Quivoron, c’est se prendre une claque dans le visage. Mais pas de ces claques qui font mal, de ces claques qui font vivre. Rodeo, c’est l’histoire de l’envol vers la liberté. Vivre passionnément pour être libre, c’est ce que font les cross bikers en s’exerçant à un art illégal, c’est ce que fait Lola Quivoron en réalisant son premier long métrage alors que la vie semblait plus encline à lui fermer des portes qu’à les lui ouvrir. Ce qu’on retient de Rodeo, c’est ce qu’on retient surtout d’une rencontre avec Lola : si les portes de la vie nous sont fermées, qui, hormis les conventions sociales, peut réellement nous empêcher de les traverser pour embrasser la liberté?