Sorti au mitan des années 80, oeuvre d’une cinéaste quasiment oubliée, Recherche Susan désespérément dégage un entêtant parfum vintage, au croisement de la mode et de la pop. Pour ceux qui croiraient encore à la politique des auteurs, Recherche Susan désespérément en représente un singulier démenti : révélée par Smithereens, un long métrage intéressant, sélectionné en compétition à Cannes en 1982, Susan Seidelman, l’une des rares cinéastes américaines de l’époque, a explosé avec Recherche Susan désespérément en 1985 qui a atteint les sommets du box-office, avant de décliner inexorablement avec des comédies peu mémorables.
Si vous voulez retrouver la magie des années quatre-vingts, du New York de l’époque et de la légende Madonna, plongez-vous dans cette belle édition du film culte de Susan Seidelman, Recherche Susan désespérément!
Qui pourrait nous empêcher de ranger également Recherche Susan désespérément dans le même lot de films oubliables, autodégradables? Au moins quatre choses. 1) Plus que le film de Susan Seidelman à elle seule, il s’agit d’une oeuvre collective, tirée d’un scénario original écrit par Léora Barish et produit par Sarah Pilsbury et Midge Sanford, réalisée donc par Susan Seidelman, et mettant en scène un duo inédit de jeunes femmes, Rosanna Arquette et Madonna. Eh oui, vous ne rêvez pas : produit, écrit, mis en scène et joué principalement par des femmes, Recherche Susan désespérément représente une incroyable anomalie dans le cinéma américain, qu’il soit hollywoodien ou indépendant. Emanation d’un petit studio, aujourd’hui disparu, Orion Pictures, le film a pourtant le profil d’un petit film indépendant, où les dirigeants du studio ne sont guère intervenus, laissant toute latitude pour les créatifs artistiques de gérer le projet. Un film de femmes, fait des femmes, mais pour tout le public, telle est l’originalité de Recherche Susan désespérément. De plus, les thématiques au centre du film sont clairement du côté de l’ « empowerment », de l’émancipation féminine, le film mettant en parallèle la vie terne et ennuyeuse de Roberta (Rosanna Arquette), une jeune bourgeoise qui périt à petit feu dans sa petite existence banlieusarde, et celle, enflammée, dangereuse et aventureuse de Susan (Madonna), une jeune rebelle décomplexée, indépendante et libérée. Roberta, fascinée par Susan qui semble mener à ses yeux une vie passionnante, ne tardera pas à la suivre et à se trouver, volontairement ou pas, à naviguer entre les mêmes risques et dangers. De là à en faire un film féministe, qui prône l’affranchissement des femmes d’un cadre sociétal contraignant, vu de notre regard post-#MeToo, il n’en faudrait pas beaucoup. Pourtant, comme Roberta et Susan ne se rencontrent quasiment pas, le film ne passe paradoxalement pas le fameux test de Bechdel.
2) 1985, c’est le pic de la carrière de Rosanna Arquette. Révélée cette année-là par After hours de Martin Scorsese et Recherche Susan désespérément, elle n’a plus jamais atteint cet état de grâce, en dépit de seconds rôles marquants dix ans plus tard dans Pulp Fiction (1994) et Crash (1996). D’un charme plus mutin que sa soeur cadette Patricia, elle était considérée comme la meilleure comédienne de sa génération par Martin Scorsese. Face à Madonna, pure présence, Rosanna Arquette s’impose comme une comédienne accomplie dans toutes les nuances de son jeu subtil. De manière encore plus radicale que Belmondo face à Delon, elle ressuscite l’opposition ou la complémentarité entre les comédiens qui jouent et les acteurs qui se contentent d’être. Car Roberta, bourgeoise coincée et manquant de confiance en elle, se trouve à mille lieues de Rosanna, fille de hippies et jet-setteuse fiancée d’un guitariste du groupe californien Toto ou de Peter Gabriel. En fin de compte, enfant de la balle, Rosanna était bien plus proche de Madonna, qu’on n’aurait pu le croire.

3) Car, même si Rosanna est la colonne vertébrale du film, le film peut à la limite se regarder comme un documentaire sur Madonna. A peine connue au début du tournage, elle est devenue une méga-star en quelques semaines, la sortie de l’.album Like a virgin ayant lieu pendant le tournage du film. Recherche Susan désespérément documente ainsi cette éclosion surprenante : le personnage Madonna est déjà là, avec son look et ses fringues improbables, cette veste avec au dos une pyramide, ses sous-vêtements rendus visibles, ses vêtements récupérés, son allure inébranlable, cette confiance en soi capable de renverser des montagnes, cette aisance naturelle avec la vie. Madonna n’essaie même pas de jouer, elle sait déjà que son personnage est plus fort que toutes les interprétations. C’est en cela que toutes ses scènes sont devenues iconiques, – en particulier la scène où elle sèche ses aiselles dans des toilettes publiques, cf. photo de couverture -, par le naturel inné, le tempérament, l’aisance qu’elle dégage. Une star, une vraie. Elle ne retrouvera cette vérité que dans Truth or dare aka In bed with Madonna.
4) La réussite de Recherche Susan désespérément vient donc de trois talents conjugués au sommet de leur carrière : Susan Seidelman, la réalisatrice, Rosanna Arquette l’actrice, Madonna la star. L’oeuvre bénéficie également de brillantes collaborations : Thomas Newman, bien avant sa collection d’Oscars, la photographie avant-gardiste d’Ed Lachman, admirable chef opérateur (entre autres chez Herzog, Wenders, Schrader, Sofia Coppola, Soderbergh, Todd Haynes), mettant en valeur de manière inhabituelle le vert, le rose et l’orange, et le formidable scénario de Leora Barish. Or l’étrange coïncidence, c’est que Leora Barish et Susan Seidelman, sans s’être concertées, ont toutes les deux pensé à Céline et Julie vont en bateau, le film culte de Jacques Rivette, en concevant le projet de Recherche Susan désespérément. Quelques points communs rapprochent en effet ces deux longs métrages : deux femmes solitaires, en tête d’affiche, les univers parallèles, la magie présente dans des clubs. Pacôme Thiellement va encore plus loin en faisant de Recherche Susan désespérément, sous l’égide d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, le trait d’union entre Céline et Julie vont en bateau et Mulholland Drive qui a également en point commun la perte de mémoire d’une des deux femmes. Même si le film de Susan Seidelman n’atteint pas le degré exceptionnel de réussite des deux autres films cités, chefs-d’oeuvre du cinéma onirique et surréaliste, il s’avère être une excellente comédie, finement écrite, réalisée et interprétée, qui a largement mérité de devenir une oeuvre culte du cinéma, en réunissant des talents à un haut niveau d’expressivité et de créativité.
Le film culte de Susan Seidelman est ainsi ressuscité dans une belle édition collector par Bubbel Pop Editions, avec un Blu-ray, deux DVD, un livre de 98 pages de Rania Griffete, « Une histoire de femmes », ainsi que d’appréciables « goodies », une affiche du film, cinq cartes postales d’images du film et trois badges des acteurs principaux. Sur le fond, l’apport essentiel de cette magnifique édition réside dans le DVD de bonus, d’une durée pantagruélique de 2h20, avec des interviews de Susan Seidelman, Rosanna Arquette, Edward Lachman (directeur de la photo), Sarah Pillsbury (productrice du film), Olivier Cachin (journaliste, spécialiste de Madonna), Pacôme Thiellement (exégète en particulier de l’oeuvre de Rivette) et Samuel Blumenfeld (journaliste et critique de cinéma).
Si vous voulez retrouver la magie des années quatre-vingts, du New York de l’époque et de la légende Madonna, plongez-vous dans cette belle édition du film culte de Susan Seidelman, Recherche Susan désespérément!