Ready Player One : Pop Culture

On avait laissé Steven Spielberg deux mois auparavant sur Pentagon Papers qui exprimait un net regain de forme de sa part. Néanmoins le sujet beaucoup trop classique de journalisme politique ligotait un peu l’expression de son style. On attendait avec Ready Player One la confirmation de cette inspiration revivifiée. Le Boss (un peu comme Springsteen dans le rock) est réellement de retour avec ce film de science-fiction qui s’avère être sans doute le seul classique instantané de ce genre cette année, voire de cette décennie. Il a enfin fallu ce film pour retrouver Spielberg à son plus haut niveau d’inventivité narrative et de prouesse technologique, alliance rare qu’il est le seul à pouvoir offrir ainsi au grand public. 

A travers son personnage, qui est d’ailleurs son portrait craché à l’adolescence, Spielberg souhaite nous dire que, bien maîtrisée, la fiction n’isole pas mais permet bien au contraire de s’épanouir, de connaître l’amour et l’amitié.

Ce n’était pourtant pas partie gagnée au vu de ses derniers films. LincolnLe Pont des espionsLe Bon Gros Géant, etc. étaient des films mineurs qu’on allait voir en étant un peu obligés, pour ne pas manquer un chapitre de son œuvre. Il faut remonter à La Guerre des Mondes (2005) pour se souvenir d’un Spielberg véritablement enthousiasmant. Néanmoins il fallait compter sur la schizophrénie assumée du bonhomme: il s’attache souvent à produire alternativement un film pour l’Académie des Oscars (La Couleur PourpreL’Empire du SoleilLa Liste de SchindlerAmistadIl faut sauver le soldat RyanMunich, etc. ) et un film pour le fun, le divertissement, pour l’adolescent qu’il n’a jamais cessé d’être (Les Dents de la merRencontres du troisième typeLes Aventuriers de l’arche perdueE.T.Jurassic ParkMinority ReportArrête-moi si tu peux, etc.). Souvent ses films les plus sérieux ne sont pas forcément ses films les plus personnels et inversement. 

Ready Player One est ainsi une fiction dystopique où le monde va particulièrement mal, sur les plans social, politique et écologique : les gens vivent pour leur plus grande majorité dans des bidonvilles et se réfugient par mode compensatoire dans un univers de fiction partagée, l’OASIS, créée par un mystérieux démiurge, James Halliday, qui vient de disparaître. Ce dernier a laissé une énigme disséminée dans son monde virtuel. Celui qui trouvera les trois clés de cette énigme deviendra le propriétaire de l’OASIS. Face à Nolan Sorrento, propriétaire de l’OAI, multinationale dominant une partie du monde économique, quelques rebelles, Wade Watts, un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, Samantha et quelques autres, cherchent à résoudre l’énigme avant lui. 

Cette intrigue, inspirée par le roman culte d’Ernest Cline, s’avère être le prétexte pour Spielberg, tel un Janus à deux visages, pour regarder à la fois le passé et l’avenir. Du côté passé, comme Halliday fait des références incessantes à la culture de sa jeunesse, les années 80 sont à l’honneur. Ready Player One ressemble à une synthèse ahurissante de la pop culture issue de cette décennie: la musique (Van Halen, New Order, Duran Duran, Tears for fears, etc. ), la littérature (Le Seigneur des anneaux, les mangas), le cinéma (AlienShiningRetour vers le futur, via le Cube Zemeckis et la musique pour une fois laissée à Alan Silvestri, en lieu et place de John Williams). Du côté de l’avenir, Spielberg explore le terrain des identités virtuelles et des jeux vidéo en VR. Chaque personnage ou presque possède ainsi un double virtuel, plus beau, plus élégant, plus fort, Parzival pour Wade, Art3miz pour Samantha, etc. Parfois les âges et les sexes ne correspondent pas forcément mais tout est permis dans l’enclave de l’univers fictionnel de l’OASIS. Tout n’est qu’illusion et l’OASIS est bien entendu une métaphore sublime du cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs« , comme le disait André Bazin ou plutôt Michel Mourlet.  

De nombreux réalisateurs pressentis (Christopher Nolan, Matthew Vaughn, Peter Jackson, Edgar Wright, Robert Zemeckis) ont tous échoué à mettre en scène ce projet. La plupart sont d’ailleurs cités dans le film, nommément (Nolan Sorrento, Zemeckis) ou par l’image (King Kong de Peter Jackson). Cependant, seul Steven Spielberg pouvait réussir ce cocktail d’humour et de technologie de haute volée. Seul Spielberg, hormis peut-être James Cameron, pouvait réussir à montrer aussi bien la séparation et l’alternance de deux mondes, le virtuel et le réel, montrer le premier en motion captures, en faisant des dizaines de clins d’œil à la culture geek et le second, sombre et désespéré, avec la photographie typique du cinéma des années 80. Seul Spielberg pouvait aussi bien relier les deux, en intégrant des personnage de VR dans le réel ou inversement, sans que le public ne s’y perde un seul instant. Seul Spielberg pouvait enfin se montrer aussi virtuose dans l’enchaînement et la fluidité des mouvements de caméra, passant de l’un à l’autre, sans discontinuer. La caméra flotte dans la virtualité, tout comme les personnages, comme dans ce numéro hallucinant de danse de Parzival et d’Art3mis sur Saturday Night Fever des Bee Gees. 

Le Boss est réellement de retour avec ce film de science-fiction qui s’avère être sans doute le seul classique instantané de ce genre cette année, voire de cette décennie. Il a enfin fallu ce film pour retrouver Spielberg à son plus haut niveau d’inventivité narrative et de prouesse technologique, alliance rare qu’il est le seul à pouvoir offrir ainsi au grand public.

Tout comme sa caméra, Steven Spielberg n’a plus de limites et peut même se permettre de rendre hommage avec humour à un de ses maîtres et amis, Stanley Kubrick. Pourtant dans cet univers dépourvu de frontières, hormis celles de l’imagination, Spielberg n’oublie pas en définitive de renvoyer vers le réel, l’ultime limite car « la réalité a pour principale qualité d’être réelle« . A travers son personnage, qui est d’ailleurs son portrait craché à l’adolescence, Spielberg souhaite nous dire que, bien maîtrisée, la fiction n’isole pas mais permet bien au contraire de s’épanouir, de connaître l’amour et l’amitié. En tant que Rosebud du film, c’est sans doute l’une des plus belles leçons de confiance en son moyen d’expression qu’un cinéaste pouvait nous donner. 

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RÉALISATEUR :  Steven Spielberg
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Tye Sheridan, Olivia Cooke, Mark Rylance, Ben Mendelsohn
GENRE : Action, aventure, science-fiction 
DURÉE : 2h20
DISTRIBUTEUR : Warner Bros
SORTIE LE 28 mars 2018