Rapture : l’empreinte de la peur

Rapture est le deuxième long-métrage (après Ma’ama, 2019) de Dominic Sangma et s’inscrit au sein d’un triptyque basé sur ses souvenirs d’enfance. Cinéma mémoriel donc, d’autant plus que le film se déroule dans le village d’enfance du réalisateur dans la région montagneuse du Meghalaya au nord-est de l’Inde et au milieu de la tribu dont il est originaire, celle des Garo. Evangélisée par les chrétiens dès le XVIème siècle, la foi en Jésus et – surtout dans le film – à la Vierge Marie y prédomine et entre en conflit avec les restes de pratiques ancestrales et le chamanisme qui occupe encore les esprits des villageois. Il y est ainsi question des nymphes qui pourraient être à l’origine de la disparition des jeunes hommes du village. Car le bouleversement à l’origine du récit part de là. Et la suspicion de s’emparer du village à l’égard d’éventuels étrangers qui enlèveraient les garçons pour ensuite revendre leurs organes à des hôpitaux.

Tandis que des rondes nocturnes s’organisent pour prévenir le danger, le prédicateur du village y voit l’annonce de l’Apocalypse à venir. Ses sermons en attestent et il joue sur l’exceptionnalité de la situation pour requérir de ses disciples une participation financière disproportionnée eu égard aux moyens dont disposent les pauvres villageois. La lune rouge, sanglante, qui apparaît dans le ciel la nuit n’en est qu’un autre signe encore plus manifeste. Le pasteur exploite ainsi sciemment le sentiment de peur qui envahit les habitants du village, impuissants face aux évènements. Car c’est à lui plus encore qu’à la police qu’ils s’en réfèrent pour échapper à leurs tourments. Cette dernière se révèle en effet bien peu active quant à effectuer des recherches pour retrouver les disparus, et elle n’a que morgue et mépris pour les croyances superstitieuses des villageois qui viennent lui demander secours.

Car le fantastique est de la partie qui nous fait douter de la réalité, de l’étanchéité de la frontière entre la vie et la mort

Le film est vu à travers le regard innocent d’un garçon de dix ans affublé d’un bec de lièvre prénommé Kasan dont l’oncle a disparu. Il est atteint de cécité nocturne, ce dont jouent ses petits camarades afin de gentiment l’effrayer. Car Kasan est le catalyseur des peurs du village, lui qui s’effare de ce que son vieil oncle mutique fabrique un cercueil juste avant que, comme par un fait exprès, une personne en vienne à mourir, comme s’il détenait le secret du destin. Du sien même peut être. Il découvre en effet, en essayant un cercueil, qu’il se trouve tout juste à sa taille et craint dès lors pour sa propre mort. L’oncle apparaît ainsi comme un personnage énigmatique qui teinte de mystère l’atmosphère du film.

Car le fantastique est de la partie qui nous fait douter de la réalité, de l’étanchéité de la frontière entre la vie et la mort comme lors de cette superbe scène de descente aux tombeaux parmi ce que l’on serait tenté de définir comme des catacombes qui emportent le petit corps de Kasan vers le monde des esprits? On se prend à regretter que le réalisateur n’ait pas multiplié ce genre de scènes qui eut contribué sans aucun doute à instiller le sentiment de peur paranoïaque qui s’empare des personnages et par extension du spectateur comme celui-ci en déclare lui-même l’intention. Le sujet s’y prêtait. Tandis que cette peur reste sourde et à l’état larvaire dans notre esprit tout au long du film. Au contraire, Dominic Sangma s’est évertué à retranscrire avec réalisme de façon insistante le quotidien de la tribu Garo au sein de son village, de la « cueillette » des cigales jusqu’à la pêche aux escargots dans le ru en contrebas de la route en passant par la procession religieuse de la Vierge Marie et le travail du vacher comme celui du menuisier ou du pasteur – les scènes de communion entre ce dernier et ses ouailles se répètent. Il filme avec délicatesse et humanité, prenant le temps, la caméra s’immisçant progressivement au sein de la foule des villageois illuminés par des torches, à hauteur d’homme, sans jamais surplomber son sujet. La nuit, personnage du film à part entière d’où naît la peur qui envahit l’esprit du jeune garçon. Mais aussi les forces du mal qui viennent de l’extérieur, à commencer par l’étranger. Un film édifiant par sa langueur aux relents de mystère ontologique – « rapture » en anglais veut dire « ravissement » au sens propre du mot (l’enlèvement des disparus) mais aussi, au sens figuré, « élévation vers Dieu », vers le monde des esprits – vu à travers le regard critique de son réalisateur hanté par le souvenir.

3.5

RÉALISATEUR : Dominic Sangma
NATIONALITÉ :  Inde
GENRE : Drame
AVEC : Torikhu A. Sangma, Handam R. Marak, Celestine K. Sangma, Balsrame A. Sangma, Johan Ch. Sangma, Riksil K. Marak
DURÉE : 2h08
DISTRIBUTEUR : Capricci Films
SORTIE LE 15 mai 2024