Rabia : derrière les prisons de femmes

L’embrigadement de jeunes femmes par l’Etat Islamique n’est plus vraiment un sujet neuf, ayant déjà été traité en 2016 au cinéma par Marie-Castille Mention-Schaar (Le Ciel attendra) ou encore Jacob Berger en 2018 à la télévision (Dévoilées avec Lola Créton, sur Arte). Toutefois, on n’a sans doute jamais aussi bien montré l’emprisonnement à la fois mental et physique de ces jeunes femmes venues s’engager auprès de Daech. Le Ciel attendra se focalisait surtout sur le conditionnement et le basculement de ces jeunes femmes d’une vie occidentalisée à une vie musulmane, donc plutôt sur l’avant. Rabia se concentre sur l’après, la vie qui attend ces recrutées volontaires en Syrie dans une « madafa », nom des maisons où étaient enfermées les femmes célibataires, ou veuves dans l’attente d’être mariées. Pour son premier film, Mareike Engelhardt livre une description saisissante de ces lieux entre prison, maison close et secte où des femmes, en croyant donner un sens à leur vie, finissent par y perdre leur identité et se déshumaniser.

Poussée par les promesses d’une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d’une main de fer. Inspiré de faits réels.

En filmant ces femmes emprisonnées qui deviennent progressivement les tortionnaires qui les emprisonnent, Mareike Engelhardt, de par ses origines allemandes, permet de faire le lien entre nazisme et terrorisme, soit deux systèmes idéologiques qui enferment les personnes dans des catégories et les privent de leur humanité

Aide-soignante dans un EHPAD, Jessica s’estime peu considérée sur le plan professionnel. D’un point de vue personnel, elle vit avec son père à qui elle n’a rien à dire. Daech, aussi étrange que cela puisse paraître, lui apparaît comme la promesse d’une nouvelle vie, d’un nouveau départ. Après avoir pris pour la première fois l’avion, avec Laïla, une amie elle aussi convertie aux valeurs de l’Etat Islamique, elle va passer rapidement du paradis entrevu via le ciel à l’enfer de la « madafa », où des femmes sont emprisonnées dans l’attente d’un futur mariage avec des combattants de Daech.

Au départ, Jessica est plutôt rétive, voire rebelle, en particulier lorsqu’elle rencontrera un potentiel fiancé qui profitera du court quart d’heure d’entretien pour essayer de la violer. Mais après être descendue dans les bas-fonds de la madafa, en étant enchaînée et fouettée, elle va progressivement se ranger du côté des bourreaux pour quitter définitivement celui des victimes, en nouant une relation ambiguë avec Madame, la gérante de la madafa. Mareike Engelhardt montre particulièrement bien cette structure verticale de la madafa où l’on ne peut progresser qu’en s’extirpant de la fange et en reproduisant les comportements iniques de ses tortionnaires, en filmant les lieux de manière de plus en plus sombre. Elle excelle également à exposer par sa mise en scène précise le processus de dépersonnalisation que doivent traverser toutes les pensionnaires de la madafa, apprenant à accueillir les nouvelles recrues et à frapper les récalcitrantes, en essayant d’éviter le visage, car une blessure au visage les condamnerait à ne pas trouver de mari.

Dans cette relation sado-masochiste, de fausse amitié et de lien quasi-filial, Megan Northam et Lubna Azabal constituent le coeur du film : l’une, vraie révélation qui brille par son physique faussement fragile de poupée blonde, son intensité rentrée et son engagement sans limites, l’autre, par sa présence mystérieuse qui hante tous ses films par son évidence fascinante depuis Incendies. Fortement influencée par Madame qui prend la place d’une mère de substitution, Jessica va devenir Rabia et prendre le chemin de se transformer en potentielle nouvelle Madame. Mais le retour de Laïla, son amie, qui a fui son mari, va compromettre ses plans, en la ramenant vers son passé.

En filmant ces femmes emprisonnées qui deviennent progressivement les tortionnaires qui les emprisonnent, Mareike Engelhardt, de par ses origines allemandes, permet de faire le lien entre nazisme et terrorisme, soit deux systèmes idéologiques qui enferment les personnes dans des catégories et les privent de leur humanité. Un film impressionnant de maîtrise et de maturité.

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RÉALISATRICE : Mareike Engelhardt 
NATIONALITÉ :  française, allemande 
GENRE : drame, thriller 
AVEC : Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief 
DURÉE : 1h34 
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution 
SORTIE LE 27 novembre 2024