Quantum Cowboys : l’art de se souvenir

Fasciné par le mouvement, le cinéma américain n’a cessé durant les dernières décennies d’imaginer des façons de jouer avec l’espace-temps. De la trilogie Retour vers le Futur à Tenet, en passant par Donnie Darko et le dernier Doctor Strange, le temps amuse autant qu’il interroge. Une notion complexe, discutée, à la fois objective et subjective. Un terrain de jeu idéal pour le physicien et cinéaste Geoff Marslett, passionné par la physique quantique. Fou et fiévreux, l’invraisemblable Quantum Cowboys inaugure une trilogie d’animation aussi risquée que prometteuse.

Quelque part dans les années 1870, Frank et Bruno vagabondent dans le désert américain. Lors d’une halte dans une petite ville du sud de l’Arizona, Frank profite d’une soirée festive pour s’introduire chez un commerçant. Pris la main dans le sac, il tente de s’enfuir, mais trébuche en arrivant devant l’estrade où se donne un concert : coup du sort, la balle du shérif n’atteint pas sa cible initiale, mais Blacky, le musicien, incarné par l’artiste Howe Gelb. Frank termine en prison. Trois ans plus tard, il retrouve Bruno et lui fait part de son intuition : Blacky n’est pas mort, il faut le retrouver. Bien que convaincu du contraire, son ami accepte de l’accompagner. Sur la route, les vagabonds feront la rencontre de Linde, qui souhaite récupérer ses terres, mais aussi de deux dangereux truands.

Une autre façon de représenter le multivers, entre le documentaire sous LSD et un hommage aux westerns.

Derrière ces différentes quêtes, une histoire de mémoire, d’amitié, mais surtout de temps. En effet, dans une pièce parsemée d’écrans, un homme observe patiemment les péripéties de ce petit monde. Un clin d’œil lointain à Matrix et son architecte. Accompagné de son chat, il vulgarise la théorie de la physique quantique. Un guide nécessaire pour ne pas se perdre dans les méandres du récit de Quantum Cowboys, particulièrement alambiqué. Entre rêve et réalité, les temps et les possibles se confondent, multipliant les points de vue, les conclusions d’une boucle temporelle qui ne parvient pas à trouver son point d’équilibre. Pour ne rien arranger à l’affaire, une équipe de tournage filme et immortalise l’histoire. Un joyeux bazar où les époques se croisent et s’entrechoquent. Une autre façon de représenter le multivers, entre le documentaire sous LSD et un hommage aux westerns. Plus que son discours scientifique, on retient surtout son rapport à l’art, perçu comme un acte de mémoire. Face à des souvenirs fluctuants, en (dé)construction permanente, l’art offre, non sans subjectivité, la pérennité d’un instant.

Dans Spider-Man : New Generation, un autre film d’animation exploitant la corde du multivers, la rencontre entre les mondes ne s’arrêtait pas aux récits individuels : chaque réalité avait sa propre identité visuelle. D’une certaine manière, Quantum Cowboys joue aussi de cette multiplicité de possibles avec douze styles d’animation. Tourné en rotoscopie, soit avec des prises de vues réelles, le film ne tient que rarement en place : d’une pièce à une autre, le dessin et les formes changent (en collage, en peinture, en dessin au trait, en pâte à modeler). Un univers drôle et psychédélique, bourré de créativité et de sonorités. Un espace de liberté légèrement amoindri par une direction d’acteurs un peu bancale et une durée un brin excessive, le procédé scénaristique et visuel pouvant se montrer usant. Malgré ces quelques accrocs, la curiosité l’emporte : on attend de pied ferme le prochain volet centré sur les deux brigands. D’ici là, espérons déjà que cet OVNI atterrisse chez nous, dans les salles ou en VOD.

3.5

RÉALISATEUR : Geoff Marslett
NATIONALITÉ : Américain
AVEC : David Arquette, Lily Gladstone, Kiowa Gordon
GENRE : Western, animation
DURÉE : 1h39
Prochainement
- Prix du Public du meilleur long métrage américain indépendant / Champs-Elysées Film Festival
- Prix de la meilleure musique originale / Festival d'Annecy 2022