Promis le ciel : exil et sororité en clair-obscur

C’est un clapotis d’eau sur fond noir. Pas celui de la grande mer, de l’Océan, de l’ailleurs, mais celui d’un bain d’où émerge la tête d’une jeune enfant. Autour d’elle, trois femmes, noires elles aussi, s’activent. On ne sait pas qui est cette petite fille, ni d’où elle vient. On ne le saura jamais. Voilà comment commence Promis le ciel. L’horizon d’une baignoire, la mort qui rôde, l’écume de la solidarité et de l’espoir. En ouvrant avec le troisième long-métrage de la franco-tunisienne Erige Sehiri, la compétition Un certain regard 2025 assure une ouverture de rideau à la hauteur de ses passions : réalisation tout en beauté et sujet social peu porté à l’écran, celui des migrants subsahariens coincés en Tunisie entre espoir et violence.

Marie, pasteure ivoirienne, vit à Tunis. Elle héberge Naney, travailleuse sans passeport, et Jolie, étudiante déterminée qui porte les espoirs de sa famille restée au pays. Un jour, elles recueillent Kenza, 4 ans et migrante comme elles. L’enfant est rescapée du naufrage d’un bateau. Au même moment, le climat social du pays se crispe encore davantage, les migrants deviennent un bouc émissaire facile,  poussant chacune à faire des choix décisifs. 

La réalisatrice joue avec les entre-deux, ces moments qui hésitent entre clair et sombre, comme ses personnages coincés entre plusieurs mondes.

Film explorant les tensions sociales et raciales du pays de la réalisatrice, Promis le ciel est peut-être surtout un film sur la sororité. La réalisatrice n’en est pas à son coup d’essai, elle qui signait Sous les figues en 2022, l’histoire de jeunes ouvrières travaillant à la récolte des figues (représentant de la Tunisie aux Oscars 2023 dans la catégorie du meilleur film international). Elles sont trois, plus cette enfant, et c’est bien leur situation en tant que femmes émigrées en Tunisie que la caméra suit, rapprochée à chaque instant de leurs visages et accrochée à leurs nuques. La profondeur de champ est faible. On marche derrière elles, les observe, les traque presque, comme cette police tunisienne qu’on devine en hors-champ, dans le bokeh du décor, puis de plus en plus présente jusqu’à l’arrestation traumatisante de Jolie, pourtant munie d’une carte étudiante valable. 

Elles sont cependant si différentes, ces trois femmes : Marie, celle qui croit tant en l’espoir et en la bonne vie récompensée (son Église s’appelle “L’Église de la persévérance”) qu’elle n’imagine pas que les autorités puissent s’en prendre à elles. Naney, qui bidouille des combines avec son meilleur ami, petits trafics en tout genre, en espérant faire bientôt venir à elle sa fille qu’elle n’a pas vue depuis trois ans. Il faut voir cette scène minimaliste, où elle tente, les larmes aux yeux, d’expliquer à sa fille désormais réglée, qu’elle ne doit pas traîner avec les garçons et « les trucs de TikTok, là ». Et Jolie, aussi belle que son prénom, persuadée qu’elle peut vivre seule et s’en sortir en étudiant.

Pour son drame social, Erige Sehiri ne choisit pas la neutralité visuelle du documentaire, mais une esthétique soignée, artistique, où chaque lumière tombe parfaitement. Beaucoup de scènes se déroulent au lever ou au coucher du soleil, entre chien et loup. La réalisatrice joue avec les entre-deux, ces moments qui hésitent entre clarté et obscurité, comme les personnages du film, coincés entre plusieurs mondes. Lequel choisir ? Rester et continuer à faire vivre la communauté en incluant cette enfant sans identité ? Tenter la traversée que ses parents n’ont jamais pu terminer ? Faire demi-tour ?

Promis le ciel est aussi une bande-son. Rythmée, dansante, pour ces quelques moments d’insouciance que Naney et Jolie arrachent à leurs vies : les heures pailletées dans une boîte de nuit avant la messe du matin, un balcon chargé d’étudiants qui résonne dans la nuit. Leur amitié et la solidarité comme piste de danse.

On regrettera peut-être un peu que le film mette du temps à décoller vers le ciel, quelques scènes de la première partie semblant traîner en longueur, mais la magie finit par opérer. Ni happy ending ni faux bons sentiments, Promis le ciel nous offre trois choix, trois chemins de vie, sans jugement. Au spectateur d’ouvrir ensuite son champ des incertitudes. 

3.5

RÉALISATRICE : Erige Sehiri
NATIONALITÉ :  Tunisienne
GENRE : drame
AVEC : Aïssa Maïga, Laetitia Ky, Deborat Christelle Naney
DURÉE : 1h32
DISTRIBUTEUR : Jour2Fête
SORTIE LE Date non communiquée