Sur le papier, certains documentaires peuvent paraître beaucoup trop lacrymaux, et provoquer un effet à la limite du répulsif, en tout cas du moins du contre-productif. Les drames font partie de la vie courante et personne n’y échappe véritablement, à commencer par la perte de ses ascendants. Plus rare, est sans doute la survenance de la perte d’un descendant. Tous pourraient être tentés de s’en inspirer et d’en faire la matière d’une oeuvre, d’un film. Devant cette surenchère d’autofiction galopante, comment faire le tri entre toutes ces propositions dramatiques où l’intimité est livrée en pâture? Pourtant, tout est en fait affaire de regard, de distance et surtout de dosage. Promesse pouvait laisser craindre le pire : un frère jumeau décide de tenir la promesse faire à sa soeur frappée par une maladie extrêmement rare à un aussi jeune âge (seize ans) et de tourner un film autour de son histoire. Pourtant, avec pudeur, retenue et finesse, Thomas Hug de Larauze parvient à tenir son pari, dresser le portrait d’une jeune fille pleine de vie, fauchée en plein vol, et en même s’interroger sur les retombées que cette maladie injuste a pu avoir sur une famille très unie de cinq enfants.
A la fin des années 2000, Laurène part en études à Toronto. Pour la première fois, séparée de son frère jumeau, Thomas, elle tombe malade. D’une affection chronique, elle bascule vers l’horreur de la leucémie, cancer du sang. Pendant quelques années, elle sera le centre névralgique d’une famille très unie, et l’objet d’une centaine d’heures d’images, filmées par son père, ses frères ou elle-même. Un jour, elle demande à Thomas, son jumeau, de faire un jour un film à partir de ces images. Il va tenir sa promesse.
Avec pudeur, retenue et finesse, Thomas Hug de Larauze parvient à tenir son pari, dresser le portrait d’une jeune fille pleine de vie, fauchée en plein vol, et en même temps s’interroger sur les retombées que cette maladie injuste a pu avoir sur une famille très unie de cinq enfants.
Au départ, Promesse a une forme quasiment anodine de documentaire intime, entrelaçant les images d’hôpital de Laurène, les témoignages face caméra des membres de la famille et quelques rares séquences d’animation figurant l’indicible de ce qui ne peut être exprimé par des mots, le transfert de greffe au sein d’une famille, l’ultime frontière de la mort, etc. Le spectateur pense alors ne pas être vraiment concerné. Pourtant, progressivement, l’émotion va le submerger comme une vague irrépressible et lui sauter au visage. Car chacun a connu des expériences injustes et cruelles de perte. En l’occurrence, Laurène, jeune fille pleine de vie et d’humour, paraissait être la dernière personne à qui une telle injustice pouvait arriver, comme si elle était la victime expiatoire d’un sacrifice auquel des Dieux lointains auraient présidé, sans se douter des conséquences occasionnées. Elle choisira pourtant de vivre, plus intensément que jamais, au-delà de toute prudence et de gestion raisonnable de son capital d’existence.
Promesse n’a l’air de rien, a priori cinématographiquement. Pourtant, il capte comme rarement son spectateur, en introduisant une mise à distance réflexive par l’interview au présent des différents membres de la famille de Laurène et de ses proches amis. Eux seuls peuvent désormais nous raconter comment ils ont traversé l’histoire de cette maladie, de cette convalescence, de ces périodes de rémission, et de la chute irrémédiable d’une jeune fille qui ne demandait qu’à vivre. C’est surtout Thomas, le frère jumeau, qui sera amené à faire un travail introspectif lorsqu’il comprendra que Laurène le verra avec envie faire tout ce qu’elle aurait voulu continuer à faire. Son commentaire en voix off, sobre et discret, servira de fil rouge à l’ensemble du film.
On pourra se demander face à la forme minimaliste du film, composée d’images de bric et de broc, si c’est véritablement du cinéma. Or le cinéma, ce n’est pas forcément une affaire de très belle photographie ou de mouvements de caméra très sophistiqués, mais essentiellement d’avoir le bon regard par rapport à son sujet. Ce n’est donc pas une question d’image ou de mouvements d’appareil mais de trouver une forme adéquate au fond. C’est le cas ici. Nous plongeons en immersion dans le drame de cette jeune fille, nous partageons ses moments de joie et de pleurs, nous rions même avec elle, assez souvent, car Laurène ne manquait pas d’humour, loin de là. Ses numéros improvisés de danse et chant se révèlent à mourir de rire. Si son destin ne s’était pas fracassé contre le mur infranchissable du destin, elle serait certainement devenue actrice ou cinéaste, elle en avait l’imagination et la vitalité.
En sortant de la projection, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de lui faire une promesse par-delà la mort, celle de vivre le plus intensément possible les moments futurs de notre vie, ceux qu’il ne lui a pas été rendus possibles de vivre. Quoi qu’il adviendra, la promesse initiale a bien été tenue : son film existe, signé par elle et son frère, lui conférant une éternité immarcescible. Lorsqu’on regarde le film, les passages les plus déchirants ne sont pas en fait ceux que l’on croyait : le film restera ainsi étonnamment et louablement discret sur les derniers mois de Laurène, préférant rester sur la dernière image heureuse de sa vie, celle où elle aura pu rentrer à la maison une dernière fois. On n’aurait ainsi jamais imaginé que la chanson Let’s twist again, diffusée lors du générique de fin, aurait rendu un jour un son aussi déchirant.
RÉALISATEURS : Laurène et Thomas Hug de Larauze NATIONALITÉ : française GENRE : documentaire AVEC : Laurène Hug de Larauze, Thomas Hug de Larauze et toute leur famille DURÉE : 1h32 DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch SORTIE LE 23 avril 2025