Prisoners of the Ghostland : la traversée des limbes

Même après deux ans de pandémie, il y a des choses qui ne changent pas : parmi celles-ci, le fait que Sion Sono soit de nouveau le bienvenu à l’Étrange Festival avec Prisoners of the Ghostland avait toutes les bonnes raisons de nous réjouir. Avec une première française ultra- complète, le long-métrage en compétition dans la compétition internationale était en effet plus qu’attendu. Le réalisateur japonais le plus inclassable de son époque, auteur des très vénérés Love Exposure et Antiporno, revenait avec le tout aussi inclassable Nicolas Cage en tête d’affiche dans une production compliquée par les problèmes de santé du réalisateur. Que fallait-il attendre pour ce film hors norme, premier long-métrage international du réalisateur guetté avidement de par le monde depuis maintenant plus d’un an ? Malheureusement, peut-être un peu moins que ce qu’on espérait.

Après un braquage de banque qui tourne au drame, Hero, bandit brutal mais honorable, se retrouve invoqué dans Samurai Town. Sous la botte du Gouverneur, un Américain tout de blanc vêtu, le quartier des plaisirs de la ville est plongé dans l’angoisse : Bernice, la petite-fille du Gouverneur, a disparu dans le Ghostland, un territoire sans foi ni loi dont on ne revient pas entier. Avec trois jours pour retrouver Bernice à moins de voir ses testicules exploser grâce à des explosifs savamment placés, Hero est jeté dans le Ghostland dans une course contre la montre qui remettra en question l’ordre du monde.

Étonnamment sage comparé au reste de la filmographie de Sono, Prisoners of the Ghostland satisfait par son incomparable esthétique tape-à-l’œil, mais peine à convaincre sur le reste, malgré tous les efforts d’un Nicolas Cage inimitable. Un film qui, s’il est loin d’être indigeste, laissera peut-être autant le public néophyte que les experts du réalisateur sur leur faim.

Dire que Prisoners of the Ghostland est foisonnant serait un euphémisme. Visuellement, il y en a pour tous les goûts et les couleurs : que ce soient les rues abondantes du quartier des plaisirs de Samurai Town, les décors désertiques du Ghostland ou encore le campement de marginaux s’acharnant à arrêter l’écoulement du temps en tirant sur les aiguilles d’une horloge, le film brille dans ses décors grandioses et méticuleux, quelque part entre le rêve et la vision. C’est bien sûr sans parler des costumes des personnages comme les ratmen, fantastiques d’inventivité, ou encore ces statues humaines composées de bouts de masques qui sont frappantes d’étrangeté : assurément, Prisoners of the Ghostland est une réussite au niveau des effets spéciaux, des maquillages, costumes et effets visuels. Avec une richesse et une ambition artistique qui entend placer son film quelque part entre Alice au pays des Merveilles, Mad Max et le genre du Jidaigeki, Sion Sono comptait bien faire de Prisoners of the Ghostland un film à la limite de la contre-utopie, comme un grand récit aux accents punk chaotiques dans lequel la libération de Bernice serait l’occasion de détruire un orientalisme fantasmé, une certaine idée du Japon asservi et exploité sexuellement par une Amérique blanche prédatrice et dictatoriale.

Malheureusement, Prisoners of the Ghostland échoue mystérieusement à satisfaire ses ambitions, malgré tous les efforts de son metteur en scène. Peut-être est-ce dû au scénario parfois trop ténu, qui passe indéniablement au second plan comparé à la richesse visuelle de l’œuvre, tout en brouillant ensemble trop vaguement des idées allant de l’anti-impérialisme américain à l’opposition au nucléaire. Peut-être est-ce dû aux scènes d’action qui paraissent parfois un peu ternes et difficilement lisibles, à l’exception de scènes de sabre très satisfaisantes avec Tak Sakaguchi, renommé pour ses chorégraphies de sabre et ses films de samouraï. Si le rôle de Sofia Boutella et le jeu de Nicolas Cage – ainsi que son obsession pour ses propres testicules – permettent de donner son unité au film et de le porter du début à la fin, Prisoners of the Ghostland reste toujours étrangement timide, se retenant à la fois dans la violence visuelle et la folie de ses personnages. Le résultat est un récit qui tombe parfois malheureusement à plat, malgré le foisonnement et l’originalité indéniable de son esthétique. Si la force visuelle du film et la cohérence graphique de son univers frappent le spectateur et garantissent une expérience inimitable, Sion Sono ne parviendra donc pas cette fois à faire plus – mais ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Étonnamment sage comparé au reste de la filmographie de Sono, Prisoners of the Ghostland satisfait par son incomparable esthétique tape-à-l’œil, mais peine à convaincre sur le reste, malgré tous les efforts d’un Nicolas Cage inimitable. Un film qui, s’il est loin d’être indigeste, laissera peut-être autant le public néophyte que les experts du réalisateur sur leur faim.

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RÉALISATEUR : Sono Sion
NATIONALITÉ : Japonaise, Américaine
AVEC : Nicolas Cage, Sofia Boutella, Nick Cassavetes
GENRE : Action, Thriller
DURÉE : 1h40
DISTRIBUTEUR : Inconnu
SORTIE LE 30 décembre 2021 (VOD)