C’est à l’âge de vingt-trois ans à peine – au début des années 1980 – que la réalisatrice commence son parcours de cinéaste en suivant les traces de son père et c’est en hommage à ce dernier entre autres que ce film est voué. C’est l’histoire tout d’abord d’une relation entre un père et sa fille et de son évolution depuis l’enfance jusqu’à l’âge de mère en passant par l’adolescence, étapes de la vie délimitées par une ellipse temporelle qui les sépare les unes des autres. Epoques qui se distinguent encore par la tonalité qui leur est donnée à chacune.
A une enfance proche de son père, où elle va jusqu’à suivre ce dernier sur le tournage même de ses films, convient une lumière forte et expressive dans laquelle baignent les personnages et un tournage essentiellement en extérieur. L’ivresse, la folie du tournage s’accommode d’acteurs fantaisistes et une atmosphère de comédie prédomine. Le montage suit un rythme serré, rapide et entraînant. C’est l’époque pour Luigi Comencini de la réalisation des Aventures de Pinocchio (1975 pour la version cinéma mais 1972 pour la version beaucoup plus longue destinée à la télévision), conte pour enfants qui ne dément pas l’attrait que représentait pour le réalisateur l’enfance et l’adolescence – à ce titre et si un seul de ses films devait être choisi comme le plus emblématique et le plus beau de tous, on citerait sans hésitation L’incompris sorti en 1967 sur les écrans. Une marionnette de Pinocchio apparaît même dans le film. Ainsi, le père n’hésite pas à interrompre la classe donnée par le professeur de sa fille pour défendre un élève timide dont les autres ont fait leur tête de Turc. Il faut écouter les enfants s’écrie-t-il.
L’adolescence, plus délicate, voit les relations entre la fille et son père se distendre, celle-ci se faisant plus distante à l’égard de ce dernier. C’est l’époque des Années de Plomb et donc des Brigades Rouges en Italie : le spectateur en est alerté indirectement par des flashes télévisés ainsi que par une fresque en hommage au mouvement terroriste dessinée par Francesca dans sa chambre. Le père quant à lui les considère comme des assassins et ne comprend pas l’attirance de sa fille pour leur groupe. On sent une tension naître entre les deux protagonistes. Jusqu’à l’annonce de l’enlèvement d’Aldo Moro dans la rue à grand renfort de haut-parleur : les élèves se précipitent en masse à la fenêtre pour écouter et manifestent bruyamment leur enthousiasme en plein cours, criant et martelant leurs pupitres en rythme. On peut dire que l’opposition au père se traduit par l’adoption de choix radicaux forts, ce qui est en phase avec ce que l’on connaît de l’adolescence d’un point de vue psychologique.
.On peut dire que la petite histoire – celle de Francesca et de sa trajectoire personnelle – rencontre la grande, celle de la société et de l’évolution des mœurs, de la politique et du monde et que les deux s’imbriquent l’une dans l’autre.
En outre, ce sont les années – nous parlons des années 1970 – de libération des mœurs et d’un accès plus facile à la drogue et on voit Francesca dériver lentement du côté des jeunes marginaux, touchant à un joint puis enfin à la drogue dure. Les intérieurs qui filment la relation de la jeune fille avec son père sont dominés par une lumière sombre : Francesca rentre tard le soir, ne communique quasiment plus avec son père – comme elle le faisait étant enfant : ici, un effet de contraste s’établit entre les deux périodes. On peut dire que la petite histoire – celle de Francesca et de sa trajectoire personnelle – rencontre la grande, celle de la société et de l’évolution des mœurs, de la politique et du monde et que les deux s’imbriquent l’une dans l’autre. La réalisatrice ne s’empêche pas de rendre compte du côté sombre de son existence à cet âge et des conflits parfois durs qui l’opposent à son père : chacun d’entre eux sait se montrer féroce à son heure à l’encontre de l’autre dès qu’il sent celui-ci faiblir – cf. la scène où Francesca demande à son père souffrant de marcher plus vite.
La dernière séquence retrouve la luminosité de départ – celle aussi de l’écran de cinéma qui s’illumine – et le lieu magique du tournage : cette fois-ci, c’est la fille qui joue le rôle de réalisatrice et c’est comme à un passage de témoin que l’on assiste. Car le cinéma est au centre de l’œuvre qui foisonne d’images prises à son histoire, rendant hommage aux grands films qui l’ont jalonnée – L’Atlantide (1932) de Georg Wilhelm Pabst ou les films de Roberto Rossellini ainsi que le cinéma muet à la sauvegarde duquel œuvra Luigi Comencini lui-même. Jusqu’à une dernière scène digne de Federico Fellini avec une belle métaphore sur la mort à la clé. Hommage donc au cinéma et à l’un de ses plus grands représentants mais aussi au passage du Temps à travers l’histoire d’une jeune fille qui s’affirme peu à peu pour enfin trouver une base solide depuis laquelle s’élancer dans la vie.
RÉALISATEUR : Francesca Comencini NATIONALITÉ : Italie, France GENRE : Drame AVEC : Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano DURÉE : 1h50 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 12 février 2025