Pierre Feuille Pistolet : le van de l’espoir et de la fraternité

Présenté à l’ACID en mai dernier à Cannes et récompensé au festival Corsica.DOC à Ajaccio (par les jurys professionnel et étudiant), ce documentaire de Maciek Hamela est une œuvre essentielle, d’une profonde humanité et qui apparait plus que nécessaire.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le documentariste polonais Maciek Hamela décide de sillonner les routes du pays à bord d’un van de sept places afin d’évacuer les habitants qui fuient les bombardements et les zones de guerre.

L’une des forces de ce long métrage, qui prend des allures de road-movie édifiant, réside dans le point de vue et l’angle cinématographique choisis

L’une des forces de ce long métrage, qui prend des allures de road-movie édifiant, réside dans le point de vue et l’angle cinématographique choisis : la caméra est placée dans la voiture, au niveau du rétroviseur (ce qu’évoque d’ailleurs le titre dans sa version internationale, In the Rearview), face aux passagers installés à l’arrière et ne sortira qu’à de très rares occasions de l’habitacle (lors des moments de présentation ou d’adieux). Alors qu’un tel dispositif sur le papier pouvait laisser craindre une certaine rigidité, un côté extrêmement artificiel, dès les premières images, cela fonctionne parfaitement à l’écran, la juste distance est réelle. Le véhicule apparaît comme un refuge provisoire, temporaire, et mieux, un endroit où les protagonistes vont se livrer à des confidences. Une telle approche n’est pas pour autant nouvelle : que l’on se souvienne de Ten de Abbas Kiarostami ou de Taxi Téhéran de Jafar Panahi, deux œuvres fortes qui réussissaient à dépasser de manière brillante le cadre purement formel.

Des récits authentiques et justes, entre inquiétude, rêves et espoir ; des fragments de vie partagés, pendant un court instant, avec les spectateurs.

En confiance, des femmes, des hommes et des enfants témoignent frontalement face à la caméra des horreurs qu’ils ont vécues et échangent même avec le conducteur / réalisateur, qui est toujours en action (discret, sans être neutre) dans Pierre Feuille Pistolet. Par certains aspects, le film dans son ensemble peut sembler un peu désordonné. Mais le spectateur comprend assez vite le sentiment d’urgence qui a présidé à sa conception, de la réalisation (sur le vif, au plus près des combats) au montage, qui s’est opéré au rythme des émotions ressenties. C’est en ce sens qu’il est émouvant et surtout indispensable. Bien entendu, il l’est aussi par les récits de (sur)vie qui ont été retenus au montage. Par-delà leurs différences (de génération, de vie, de niveau social ainsi que de ressenti), toutes les personnes que l’on voit assises à l’arrière du fourgon ont un point commun, un objectif similaire : en laissant tout derrière elles (une partie de leur famille, une maison, un quartier, un pays tant aimé), elles aspirent à retrouver une possibilité de vie, pour elles ainsi que pour leurs enfants. Durant tout le long métrage (condensé, puisqu’il dure moins d’une heure trente), on est ému par ce qui est raconté, par la détresse de ces gens. Comme cette femme qui pleure à l’évocation de la vache qu’elle a dû laisser, cet homme parti avec son enfant pour le mettre en sécurité ou encore cette fillette qui, pour s’amuser, ajoute un pistolet au jeu « Pierre-feuille-ciseaux » (titre choisi en France). Des récits authentiques et justes, entre inquiétude, rêves et espoir ; des fragments de vie partagés, pendant un court instant, avec les spectateurs.

La guerre, concrètement, est omniprésente durant ces différents périples qu’entreprend le réalisateur : par le passage des check-points contrôlés par des soldats ukrainiens, par le paysage qui défile par les fenêtres (chars et maisons détruits) ou par les mouvements chaotiques du véhicule, obligé d’emprunter des routes cabossées ou bien peu praticables (notamment à cause de la présence de mines). Ce que Hamela filme est une tragédie universelle : la douleur de l’exode, la fuite face aux horreurs de la guerre, la séparation déchirante des familles. Des événements actuels mais qui se sont déjà produits par le passé et qui, malheureusement, se reproduiront à l’avenir.

Avec cette œuvre sobre et digne, sans artifice ni misérabilisme, il livre une belle leçon d’humanité et fait surgir, du tréfond des ténèbres, une petite lueur d’espoir.

En ce sens, et parce qu’il évoque une communauté de destin (les humains dans la guerre) mais aussi la fraternité entre les hommes, Pierre Feuille Pistolet est bouleversant. Loin de se contenter de filmer pour filmer, le cinéaste est au cœur du projet humanitaire : il est chauffeur (il a parcouru plus de 100 000 km depuis le début du conflit) mais aussi organisateur, bénévole, interprète et a été confident sur le tournage. Avec cette œuvre sobre et digne, sans artifice ni misérabilisme, il livre une belle leçon d’humanité et fait surgir, du tréfond des ténèbres, une petite lueur d’espoir.

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RÉALISATEUR : Maciek Hamela
NATIONALITÉ : Pologne, France, Ukraine
GENRE : Documentaire
AVEC : des réfugiés Ukrainiens, Maciek Hamela
DURÉE : 1h24
DISTRIBUTEUR : New Story
SORTIE LE 8 novembre 2023