Piccolo Corpo : les âmes en peine

Sur un bout de plage en Italie, le miracle de la vie se produit. Lorsque la jeune femme se réveille, elle découvre que son enfant est mort-né. Faut-il pleurer cet être sans nom ? En 1900, la croyance religieuse est sévère : faute de baptême, l’âme de la petite erre désormais dans les limbes. Pour panser la douleur de la perte, ses proches lui parlent déjà de demain : il n’est pas trop tard pour en faire un second. De l’huile jetée sur un feu incandescent, il faut sauver cette âme. Premier long-métrage de la réalisatrice italienne Laura Samani, Piccolo Corpo est une œuvre à la fois aride et envoutante. Une divine surprise, pleine de cinéma et d’espoir.

Au début du XXe siècle, la vie catholique d’un enfant débute avec un baptême. C’est ce qui lui permet de devenir un enfant de Dieu. Dans le tragique cas des mort-nés, la douleur de la mère croyante s’accompagne d’un fardeau : l’enfant ne pouvant être baptisé, il n’a pu être lavé du péché originel, aussi son âme flotte désormais dans les limbes, un au-delà qui n’est ni le paradis, ni l’enfer. Le nouveau-né n’étant ni bon, ni mauvais, son destin est d’errer dans un entre-deux, sans salut. Si l’Eglise est récemment revenue sur ce postulat, la miséricorde n’était pas à l’ordre du jour aux prémices du siècle dernier.

Sur une lagune italienne, la lumière enveloppe les âmes, le sable contraste avec le bleu du ciel et de la mer. Dans un petit village qui vit de la pêche, la jeune Agathe (Celeste Cescutti) donne la vie. L’enfant n’aura toutefois pas l’occasion de humer l’air salé : il est mort-né. Il n’aura ni baptême, ni nom, il appartient déjà au passé pour la communauté. Le mari d’Agathe pense rassurer la mère malheureuse en parlant d’un second enfant. Imaginer sa fille dans les limbes l’afflige et l’inquiète, elle refuse l’indifférence : il doit exister un moyen de sauver son âme. Sa volonté s’ébruite, elle découvre ainsi qu’au beau milieu des montagnes, un sanctuaire offre une seconde chance aux mort-nés : son enfant pourrait revenir à la vie, le temps d’un souffle, pour se faire baptiser. Elle cache le corps dans une petite boîte et part, seule, à la recherche d’un présumé miracle. Sur son chemin, elle va croiser Lynx (Ondina Quadri), qui lui offre son aide en échange de la moitié de ce qui se trouve dans la boîte, sans imaginer un instant ce qu’elle contient. Si Agathe y tient tant, c’est que son contenu doit être important, pense-t-il à tort ou à raison.

Si l’aventure n’est pas toujours palpitante, la conclusion du premier long de Laura Samani ne laissera personne de marbre : sa beauté est renversante, pour le regard comme pour le cœur.

Fable initiatique, Piccolo Corpo embrasse le destin de la jeune Agathe, rebelle en son temps. Elle porte désormais différemment son enfant, sur son dos, dans une boîte qui pourrait tout autant être un cercueil. Une croix pour elle, un trésor pour les yeux d’envieux qui ne savent rien de son contenu. Il faut dire que ce monde, aux portes de l’industrialisation, est peu loquace : il survit tant bien que mal et baigne dans les superstitions. Un œil rivé vers l’au-delà, l’autre sur les affaires terrestres. Les habitants qui peuplent le film sont pragmatiques : aider son prochain est rarement un acte de charité, désintéressé. Un équilibre discret, un marchandage matériel, mais aussi parfois immatériel. Un monde régi par des pensées chevillées aux corps, qui ne laissent que peu de place à la différence. En atteste le mystérieux personnage de Lynx. Un véritable animal sauvage, au regard trouble et à l’identité incertaine. Sans nom, il est comme l’enfant d’Agathe, une âme qui erre. Lynx va montrer le chemin à Agathe, c’est sa boussole, son protecteur. Un chemin physique, mais aussi spirituel : le guide va apprendre de son côté le don de soi, l’amour de son prochain et sa part obscure, le deuil d’un être aimé. Lui qui s’imaginait disparaître dans l’indifférence, il sait qu’il compte désormais aux yeux de quelqu’un. L’amour d’Agathe pour son enfant, son périple qu’elle ne pense qu’à sens unique, est une dramaturgie profondément humaine. Un lien par-delà le vivant que le film, riche en symbole, restitue avec justesse et émotion. Si l’aventure n’est pas toujours palpitante, la conclusion du premier long de Laura Samani ne laissera personne de marbre : sa beauté est renversante, pour le regard comme pour le cœur.

Bien que minimaliste, Piccolo Corpo sait toutefois nous atteindre. Une belle force émotionnelle traverse le film. Le portrait d’une mère qui n’accepte pas de se résigner et décide d’avancer à contre-courant, mais aussi d’un compagnon de voyage qui lui ne croît en rien, ensemble ils unissent leur solitude dans l’espoir d’un lendemain meilleur. Une œuvre aussi touchante que visuellement splendide. On en est convaincu : Laura Samani est une cinéaste à suivre.

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RÉALISATEUR :  Laura Samani
NATIONALITÉ : italien, français, slovène
AVEC : Celeste Cescutti, Ondina Quadri
GENRE : Drame
DURÉE : 1h29
DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution
SORTIE LE 16 février 2022