On a été plus que partagé au sujet de l’oeuvre de François Ozon, parfois faussement provocatrice, souvent douloureusement sincère, Oscillant entre le faux classicisme (Grâce à Dieu), le vrai académisme (Tout s’est bien passé) et la fausse provocation (Jeune et jolie, L’Amant double), Ozon ne se montrait pas vraiment à la hauteur de son délicat patronyme. Il restait surtout une veine plus secrète, mélancolique (Sous le sable, Le Temps qui reste, Angel, Frantz) et en particulier une adaptation de Fassbinder, très réussie, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. C’est à nouveau Fassbinder que Ozon a choisi pour se réinventer à l’occasion de son vingt-et-unième film, Peter von Kant, adaptation revue et corrigée des fameuses Larmes amères de Petra von Kant, que Fassbinder avait tourné cinquante ans auparavant.
Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…
Cette relecture des Larmes amères de Petra von Kant s’avère extrêmement intéressante, voire passionnante, par sa mise en abyme, mais pas toujours suffisante, Ozon échouant quelque peu à l’élever au niveau des hauteurs stratosphériques de la version initiale.
Dans Peter von Kant, François Ozon a surtout eu une idée, mais une formidable et excellente idée, celle de ne pas reprendre la pièce de Fassbinder au sens littéral. Il en a fait une mise en abyme en substituant le personnage de Fassbinder à celui de Petra von Kant, suivant l’adage flaubertien « Madame Bovary, c’est moi« . En effet, Fassbinder s’est manifestement dépeint sous les traits de Petra, en créatrice ultra-narcissique, possessive et égocentrique. Donc la mise en abyme consistant à transposer de la fiction à la réalité, s’avère complètement justifiée. Ozon a légèrement modifié la situation en ne prenant pas comme personnage principal, le Fassbinder jeune du début des années 70, mais celui quadragénaire, à la dérive et en perdition. Dans le rôle, Denis Ménochet compose un Fassbinder plus vrai que nature, ogre monstrueux, géant égoïste et dépendant de ses amours, cinéaste célèbre ayant réussi, enfant gâté et surprotégé, émouvant à force de casser ses jouets et d’être finalement abandonné..
Sur ce plan, l’adaptation est très réussie, réécrivant et ajustant avec justesse le texte de Fassbinder au personnage de….Fassbinder lui-même, en artiste décadent. La mise en abyme est complétée par l’interprétation d’Hanna Schygulla qui jouait l’amante de Petra dans la version Fassbinder et qui, cette fois-ci, incarne la mère de Peter von Kant, soit celle de Fassbinder lui-même. Le spectateur hallucinera peut-être en constatant à ses côtés la présence d’Isabelle Adjani, actrice de la même génération que Schygulla, qui n’arbore pas la moindre ride, fantôme sans âge, en Sidonie, grande comédienne, amie de Peter von Kant. Le dispositif est renforcé par le fait que Ozon, en faisant le portrait d’un cinéaste, fait ici plus ou moins son autoportrait caché, par le biais de la description de Fassbinder.
Par conséquent, le film part sur d’excellentes bases théoriques et remplit en grande partie sa mission, décrasser le style de François Ozon qui s’était laissé embourber dans l’académisme. La sécheresse de l’écriture fassbinderienne et les vertus du huis clos ont permis à Ozon de retrouver une certaine virginité. Néanmoins, à partir du moment où la transposition du dispositif aura été exposée, on regrettera un certain manque de surprise dans la suite du film, la relation entre Peter von Kant et le dénommé Amir, sorte d’angelot pasolinien, échouant à produire les étincelles prévues. Le rôle du serviteur muet (Marlène dans la version Fassbinder) s’avère en revanche plus payant, même si on se trouve un peu éloigné de la belle sécheresse abrupte des Larmes amères de Petra von Kant.
En résumé, cette relecture des Larmes amères de Petra von Kant s’avère extrêmement intéressante, voire passionnante, par sa mise en abyme, mais pas toujours suffisante, Ozon échouant quelque peu à l’élever au niveau des hauteurs stratosphériques de la version initiale. Gouttes d’eau sur pierres brûlantes avait, quant à lui, l’immense avantage de ne posséder aucune version filmée originelle. Le projet demeure néanmoins assez fascinant et vaut essentiellement par des acteurs (Ménochet, Adjani, Schygulla) qui ressemblent à des grands fauves en cage.
RÉALISATEUR : François Ozon NATIONALITÉ : française AVEC : Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Gharbia, Stéfan Crépon, Hanna Schygulla GENRE : Comédie dramatique, drame, comédie DURÉE : 1h25 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 6 juillet 2022