Périphériques, les mondes de Flynne saison 1 : objectif 2099

William Gibson a marqué la littérature de science-fiction en étant l’un des chefs de file du mouvement cyberpunk émergeant dans les années 80 et en conceptualisant la notion de cyberespace, dans son premier roman Neuromancien, bien avant Internet ou Matrix. Pourtant si des films dont celui précité se sont largement inspirés de son univers, peu ont tenté l’expérience de l’adaptation des romans de William Gibson. Seules des nouvelles ont été adaptées au cinéma (Johnny Mnemonic de Robert Longo, New Rose Hotel d’Abel Ferrara), avec une audience restée à ce jour confidentielle. Cette discrétion s’achève avec l’adaptation en série de Périphériques, l’un des romans récents de William Gibson, sur Amazon Prime. Si l’on sait que l’équipe créative aux commandes de la série est en grande partie la même que celle de Westworld (Lisa Joy et Jonathan Nolan en producteurs exécutifs, Scott B. Smith en showrunner), l’on ne s’étonnera guère de retrouver les thématiques de l’intelligence artificielle, des jeux temporels et d’une apocalypse plus ou moins lointaine dans Périphériques, Les Mondes de Flynne. Ambitieuse, foisonnante, esthétiquement très réussie, Périphériques semble être la seule série pouvant déclencher actuellement une réelle addiction sur la plateforme d’Amazon.

En 2032, à Clanton, une ville perdue au fin fond de l’Alabama, Flynne Fisher, une jeune surdouée des jeux vidéos vivote avec sa mère aveugle et son frère Burton, un soldat revenu de la guerre avec quelques traumas. En jouant à la place de son frère, Flynne s’aperçoit que ce qu’elle pensait être un simple jeu vidéo, effrayant de réalisme, n’est autre que…le futur qui se déroulerait en 2099 à Londres. Elle y fait la connaissance de Wilf Netherton, membre affilié à une bande de rebelles mafieux, les klepts en lutte contre le contrôle omnipotent de l’Institut de recherche qui domine la société de 2099. Il se trouve en quête de sa soeur Aelita, ex-membre de l’Institut, qui a disparu. Flynne peut l’aider à la retrouver.

Périphériques est donc une série très ambitieuse qui nous permet de voyager dans plusieurs dimensions qui peuvent s’affecter les unes les autres, et d’approfondir des thématiques métaphysiques et philosophiques, sans pour autant négliger l’aspect spectaculaire de scènes d’action très efficaces.

Si William Gibson a aussi été peu adapté, c’est sans doute parce que ses livres assez ésotériques échappent la plupart du temps à la compréhension du commun des mortels. Il en est de même dans l’un de ses romans récents Périphériques qui fonctionne sur une alternance entre 2032 (Flynne Fisher) et 2099 (Wilf Netherton), sans que le principe soit véritablement explicité au lecteur. Dans le même ordre d’idées, il utilise tout un lexique très spécifique, sans en donner les définitions (kleps, polts, périphériques, fragments, etc.) ou alors de manière très incidente. Il faut attendre patiemment jusqu’à la 95ème page pour que le dispositif s’éclaire de lui-même, lors d’une réunion entre une partie des protagonistes en 2099. L’avantage de Périphériques, la série, c’est que, comparativement au roman, elle est beaucoup plus limpide. Elle commence d’emblée par une expérience d’immersion et révèle son dispositif entre la 20ème et la 30ème minute de son deuxième épisode. A partir de ce moment, nous savons que Flynne est partagée entre deux mondes, celui de 2032, où sa mère est condamnée par une grave maladie, et celui de 2099, qui a connu une catastrophe planétaire et apocalyptique, ironiquement nommée le Jackpot, cumulant réchauffement climatique, pandémie et terrorisme, c’est-à-dire les plus grands maux de notre société contemporaine. Ce qu’elle prenait pour un jeu vidéo est simplement une immersion dans le futur soixante-dix ans plus tard. Par conséquent, lorsqu’elle interagit avec son futur, elle crée un fragment spécifique dans le passé qui peut donner une suite différente du futur qu’elle a entrevu.

Périphériques est donc une série très ambitieuse qui nous permet de voyager dans plusieurs dimensions qui peuvent s’affecter les unes les autres, et d’approfondir des thématiques métaphysiques et philosophiques, sans pour autant négliger l’aspect spectaculaire de scènes d’action très efficaces. On retrouve ainsi dans Périphériques le même cocktail à l’oeuvre dans Westworld ou Matrix (philosophie + scènes de combat) qui a fait leur singularité et leur succès. La série bénéficie d’une direction artistique de très haut niveau (un générique fascinant, entre autres), similaire à celle de Westworld, le metteur en scène de la plupart des épisodes, Vincenzo Natali (Cube) ayant déjà officié sur la précédente série. Du point de vue narratif, les histoires sont proliférantes, avec un grand nombre de personnages. Si la série s’avère très brillante lors de ses cinq premiers épisodes (sur huit), elle marque un peu le pas lors du sixième épisode qui continue à introduire de nouveaux personnages (l’inspectrice Lowbeer et son assistante une androïde à l’image de sa fille disparue). Lors des deux épisodes suivants, bien meilleurs, elle redresse significativement la barre mais met en valeur des personnages secondaires, Jasper Becker, le neveu de Corbell Pickett, le commanditaire de l’assassinat des Fisher et Tommy Constantine, l’adjoint du shérif, en dévoilant leur part d’ombre, ce qui peut s’avérer déroutant. Elle se termine néanmoins de manière très belle et poétique par un sacrifice (à la manière de Buffy à la fin de sa saison 5) et l’ouverture d’un nouveau fragment. Périphériques n’est pas pour l’instant renouvelée par Amazon Prime mais cette nouvelle série est porteuse de réelles promesses qui, espérons-le, parviendront à vaincre le signe indien dont été victimes les créateurs de Westworld. Si elle parvient à se recentrer autour de son intrigue principale, déjà extrêmement riche, focalisée sur une excellente, générationnelle et emblématique, Chloë Grace Moretz (la plupart des spectateurs de Périphériques ont grandi en la voyant jouer le rôle explosif de Hit Girl), elle pourra sans doute apporter des heures inoubliables à l’anthologie des séries de science-fiction.

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SHOWRUNNER :   Scott B. Smith, avec Lisa Joy et Jonathan Nolan en producteurs exécutifs
NATIONALITÉ : américaine 
GENRE :  science-fiction
AVEC : Chloë Grace Moretz, Gary Carr, Jack Reynor, J.J. Feild,  T'Nia Miller, Louis Hertrum, Katie Leung, Melinda Page Hamilton, Chris Coy, Alex Hernandez, Julian Moore-Cook, Adelind Horan, Eli Goree, Charlotte Riley, Alexandra Billings
DURÉE : 55 à 1h par épisode pour un total de huit épisodes 
DISTRIBUTEUR : Amazon Prime 
SORTIE LE 21 octobre 2022, un épisode par semaine.