Paradis : quand la Russie néglige ses contrées lointaines…

 Le documentaire du jeune cinéaste russe, Alexander Abaturov, Paradis, sort en salles de manière opportune et apparaît plus que jamais nécessaire : il rappelle comment une dictature, la Russie, traite les marges de son territoire ainsi que les populations qui s’y trouvent tout en illustrant l’urgence écologique actuelle.

À l’été 2021, une vague de chaleur et une sécheresse exceptionnelle provoquent des incendies géants qui ravagent 19 millions d’hectares dans le nord-est de la Sibérie. Dans cette région, au cœur de la taïga, le village de Shologon se voile d’un épais nuage de fumée. Les cendres noires portées par le vent propagent des nouvelles alarmantes : la forêt est en feu et les flammes approchent. Abandonnés par le gouvernement, livrés à eux-mêmes, les habitants doivent s’unir pour combattre le Dragon.

L’approche documentaire se révèle très vite pertinente, à plus d’un titre. En choisissant le cinéma du réel (pas de voix off, peu de commentaires explicatifs), Abaturov immerge le spectateur au cœur d’une communauté d’hommes, les Yakoutes, livrés à eux-mêmes, subissant la loi fédérale russe instaurée en 2015. Dans ces zones éloignées ou peu habitées, les autorités ne sont plus obligées d’intervenir en cas de feux de forêt si les coûts engagés dépassent celui des dommages estimés. Or, plus de 80 % de la Yakoutie, au Nord-Est de la Sibérie, est placée en « zone de contrôle » (il convient d’apprécier ici la terminologie employée par la Russie, habituée du détournement de sens si l’on se souvient de l’usage fait du mot « démocratie populaire » pendant la Guerre froide). Le gouvernement russe considère donc qu’il n’y a aucun intérêt à intervenir dans la région et à y protéger ses habitants.

Le cinéaste suit les habitants du village de Shologon, découvrant d’abord la menace par la radio, avant de se retrouver confrontés directement à l’incendie. Il montre alors comment, seuls, en utilisant les ressources disponibles dans le cadre d’une organisation traditionnelle (qui permet d’ailleurs de voir toute la diversité de la Russie, territoire immense), ils essayent de lutter courageusement pour préserver leurs biens et limiter les conséquences à venir (jusqu’à allumer des contre-feux). On assiste à beaucoup de scènes de discussion entre les villageois, filmées de la façon la plus simple qui soit, mais qui témoignent d’un sens aigu de l’observation. On ne verra donc que très peu de « scènes d’action », et c’est bien là où Abaturov surprend et séduit : par le refus du spectaculaire et du grandiloquent. Il y a même parfois des moments étonnamment apaisants contrastant avec le danger imminent. Si on sent, néanmoins, la menace de manière précise et intense, ce n’est absolument pas par le brasier en lui-même (en grande partie placé en hors-champ) mais par la luminosité, par les fumées qui envahissent l’écran (et le village) ou encore par les commentaires inquiets des protagonistes. Ces derniers, fins connaisseurs de leur environnement proche, n’hésitent pas à prendre des risques face à un feu d’une ampleur exceptionnelle, hors de contrôle : le réalisateur les suit jusque dans ces moments, certes terrifiants, mais aussi visuellement impressionnants (notamment la couleur orange que l’on voit dans quelques scènes et sur l’affiche du long métrage). Le spectateur prend ainsi la mesure de ce qu’il voit à l’écran : les moyens engagés paraissent bien dérisoires face au désastre qui se joue ici, et le combat bien inégal (d’autant plus que les renforts tant attendus resteront bien maigres et peu efficaces). Pourtant, la détermination sans faille des habitants à vouloir sauver ce qui peut encore l’être, est vraiment émouvant et redonnerait (presque) foi en l’Humanité.

À ce titre, le choix du titre du film Paradis (Paradise, en version originale) constitue un repère, une clé de lecture : il est bien entendu terriblement ironique (un paradis terrestre menacé par le feu, conséquence du réchauffement climatique mais aussi de la politique capitaliste russe dévastatrice), mais renvoie également au rapport entre l’homme et la nature dans des sociétés encore traditionnelles qui font encore appel aux divinités pour obtenir leur protection. À la vision de ce beau et sobre documentaire, on pense davantage à une descente aux Enfers. Mais, incontestablement, Paradis donne à voir, de façon concrète et avec intelligence, les ravages d’une catastrophe écologique majeure ainsi que l’inanité des pouvoirs publics russes, très loin d’être à la hauteur du courage et de l’engagement des habitants de ces contrées.

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RÉALISATEUR : Alexander Abaturov
NATIONALITÉ : France
GENRE : Documentaire
AVEC : Les habitants de Shologon (Sibérie)
DURÉE : 1h28
DISTRIBUTEUR : Jour2Fête
SORTIE LE 30 août 2023