Oxana : portrait d’une jeune fille en feu

Révélée par Slalom, sélectionné au fameux Festival de Cannes qui n’a jamais eu lieu, celui de 2020, Charlène Favier s’est d’emblée fait connaître, en s’appropriant le sujet du harcèlement moral et des agressions sexuelles dans le milieu du sport, en l’occurrence celui du ski. Elle n’en est pas restée à ce coup d’éclat, en réalisant en 2023 un film de télévision, remarquable et remarqué pour Arte, La Fille qu’on appelle, d’après le roman éponyme de Tanguy Viel, où elle traite du phénomène d’emprise suite à une dépendance économique. Avec Oxana, elle passe à la vitesse supérieure en s’en prenant à tout un système patriarcal, via le récit de la vie brève mais intense d’Oksana Chatchko, cofondatrice, avec Anna Hutsol et Oleksandra Chevtchenko, du mouvement Femen, en avril 2008. D’une légère substitution de lettres, du ks au x, d’Oksana à Oxana, Charlène Favier nous raconte ainsi son Oxana, une jeune femme ultra-sensible et jusqu’au-boutiste qui ne croyait qu’en deux choses, l’art et la révolution, deux concepts majeurs qui peuvent changer le monde et la vision que nous en avons. Message transmis.

Le 23 juillet 2018, c’est le jour du vernissage des icônes orthodoxes d’Oxana Chatchko. La jeune femme vit cette journée de manière intense, entre rendez-vous avec ses amies, ses amants, une journaliste, le renouvellement d’un titre de séjour…Elle se souvient de sa courte vie : sa vocation artistique, son activisme chez les Femen, son arrivée en France…

Le portrait d’une jeune femme pure, intègre et intransigeante, une véritable artiste qui a tenté aussi de faire triompher ses idées par la politique et s’est heurtée aux terrifiants pépins de la réalité.

C’est la nuit de Kupala, célébration slave du solstice d’été, qui ouvre dans les flammes le beau film de Charlène Favier. Des feux multiples surgit une jeune fille. Elle s’appelle Oxana, c’est elle qu’on va suivre tout au long de ce film fiévreux. Le film va ainsi alterner temporellement entre le 23 juillet 2018, date du vernissage des icônes peintes par Oxana, et son parcours de 2003 à 2018, par un enchâssement brillant de flash-backs et de renvois à son existence. Très mobile, la caméra suit comme dans un ballet cette jeune femme pleine de vie qui fait parfois deux ou trois choses en même temps, tout comme elle a suivi plusieurs chemins : sentimental, artistique et politique. Charlène Favier parvient à recréer cet enchevêtrement de parcours, en donnant une véracité documentaire à tout élément dans le film : la langue, la distribution composée d’actrices ukrainiennes toutes formidables, l’époque précisément reconstituée. De plus, on ne saurait trop louer la sidérante Albina Korzh, presque débutante, -hormis quelques courts métrages et un long passé inaperçu-, d’avoir réussi à redonner vie à la cofondatrice des Femen, en l’inscrivant dans un contexte de réalité hallucinatoire.

Hallucinatoire car nous vivons cette journée, comme si nous étions nous-même Oxana. Pourtant cette journée a existé mais bien des semaines plus tôt car la dernière exposition de l’artiste a eu lieu en juin 2018. Par conséquent, Oxana est bien une recréation volontairement arrangée de la vie de Chatchko et nous fait bien comprendre la recherche absolue de liberté de cette artiste-activiste qui a voulu changer le monde et y a sans doute un peu réussi. De son enfance malheureuse entre un père alcoolique et une mère très croyante, en passant par sa vocation artistique précoce, (peintre à 8 ans), à son engagement politique, toutes les pièces du puzzle biographique sont là. C’est Oxana qui, avec deux amies, crée les Femen, en trouve l’appellation et en conceptualise la médiatisation. Elle encore qui décide de montrer sa poitrine pour mieux mettre en lumière les interventions des Femen, d’après sa phrase « notre corps est notre armure, nos seins des armes de combat ».

Le fil rouge de la vie d’Oxana est l’apprentissage et l’expérience de la liberté. Très tôt, elle a décidé de ne se fixer aucune limite, hormis celles qu’elle-même s’était fixées. Son corps n’appartenait à personne, hormis à elle-même. A-t-elle pour autant aimé une personne en particulier? Le film ne le montre pas forcément. Sa soif d’amour était bien trop grande pour pouvoir l’épuiser. Mais à force de se fixer des buts hors de portée, l’amour, l’art et la révolution, elle ne pouvait guère les atteindre, tout au plus les effleurer, en espérant que ses amants de passage la sauveraient de la dépression. Des plans déchirants la montrent le soir du 23 juillet, elle si vivante et attentive aux autres, marchant sur les quais de la Seine, telle une âme en peine, dans la triste solitude de la nuit. Trop exigeante et perfectionniste, elle ne pouvait se satisfaire des résultats qu’elle atteignait dans l’art qu’elle vénérait pourtant. Peu arriviste, elle ne s’est guère méfiée d’une rivale plus médiatique et manipulatrice, Inna Chevtchenko qui a compris très vite l’intérêt et la nécessité d’un exil à Paris et a pris d’emblée le pouvoir que Oxana ne recherchait aucunement. Seul véritable bémol du film, l’interprète d’Inna n’est sans doute pas assez charismatique pour faire comprendre au spectateur la rivalité et le conflit d’influences qui allaient conduire à une exclusion inévitable d’Oxana. En dépit de l’absence de ressemblance, Noée Abita, actrice fétiche de la réalisatrice, s’avère, quant à elle, plus convaincante en Apolonia Sokol, amie peintre d’Oxana à Paris, que l’excellent documentaire Apolonia Apolonia de Léa Glob a contribué à faire connaître aux cinéphiles.

En faisant le portrait d’Oxana, Charlène Favier dresse le portrait d’une jeune femme pure, intègre et intransigeante, une véritable artiste qui a tenté aussi de faire triompher ses idées par la politique et s’est heurtée aux terrifiants pépins de la réalité. Le besoin de liberté a pour effet de parfois basculer dans le vide de l’absolu. Oxana raconte l’histoire de ce basculement.

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RÉALISATRICE : Charlène Favier 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : biopic, drame
AVEC : Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korovai, Oksana Khdanova 
DURÉE : 1h43
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution 
SORTIE LE 16 avril 2025