Où est la maison de mon ami : une odyssée persane

Traiter de l’enfance n’est jamais facile au cinéma, que ce soit par les problèmes qu’un réalisateur peut éprouver pour faire jouer correctement un enfant comme par la difficulté que peut avoir un artiste adulte à se mettre à sa place. Une difficulté qui n’est pas étrangère à Abbas Kiarostami, qui s’est lui même attaqué à la question de l’enfance avec ce qui reste aujourd’hui comme l’une de ses plus belles œuvres, Où est la maison de mon ami. Avec ce long-métrage, Abbas Kiarostami ouvre en beauté une trilogie de films – comprenant aussi Et la vie continue et Aux travers des oliviers – qui ont tous en commun de se dérouler dans le village de Koker. Entre chronique documentaire des campagnes iraniennes, mise en abyme de la pratique cinématographique du réalisateur et portrait intime de la vie des habitants de la région, le réalisateur iranien met au point dans cette trilogie une méthode cinématographique unique, partagée entre réalisme et fiction, poésie et pragmatisme, narration et contemplation. Avec une humanité sans failles, Kiarostami observe les siens tout en compassion et en douceur, parvenant à saisir l’universel entre les collines verdies des campagnes iraniennes – un universel qui s’exprime peut-être le plus profondément dans ce film d’ouverture de la trilogie de Koker, où la description de l’enfance et de ses errements touche au sublime.

Dans une petite école de campagne en Iran, un instituteur sévère gronde le jeune Nematzadeh : si l’enfant fait une nouvelle fois ses devoirs sur des feuilles volantes, il sera expulsé de la classe. Cependant, plus tard dans l’après-midi, le petit Ahmad réalise qu’il a pris par mégarde le cahier de son camarde de classe. S’il ne le lui rend pas avant le lendemain, Nematzadeh sera renvoyé par sa faute… Mais aura-t-il le temps de courir jusqu’au village de son ami et de trouver sa maison ?

Film social à hauteur d’enfant, Où est la maison de mon ami est, métaphoriquement comme littéralement, un film dans lequel le jeune Ahmad doit trouver sa voie. Perdu par les adultes autour de lui, l’enfant n’a pour seul guide que sa boussole morale et son sens de la justice, mis à rude épreuve par les demandes impérieuses des adultes autour de lui. La résistance d’un sens de la justice pur et innocent qui structure l’intégralité du film, et qui trouve dans le dénouement de l’œuvre une très belle expression : celle d’une camaraderie sans failles entre deux enfants.

Il existe dans Où est la maison de mon ami une certaine forme de tragédie. À la manière de Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, les éléments s’acharnent injustement contre le jeune Ahmad tout au long de ses errances sur les sentiers reliant le village de Koker au village de Poshteh. La caméra, cruelle, suit le jeune enfant dans toutes ses courses, s’égarant dans le labyrinthe des rues escarpées, remontant des escaliers interminables, se perdant en allers-retours d’un village à l’autre… Mais cette cruauté n’est pas le seul fait du cinéaste : elle est aussi le fait des actes de chaque adulte, que ce soit tantôt les attentes strictes de l’instituteur qui poussent les enfants au désespoir, tantôt les demandes exigeantes de la famille d’Ahmad qui l’empêchent de travailler, tantôt les directions obscures données par des inconnus qui égarent l’enfant plus qu’elles ne le guident. L’injustice qui frappe Ahmad et Nematzadeh est bien différente d’un simple acharnement du destin : bien plus, c’est l’injustice d’un ordre adulte impossible à satisfaire, qui en demande toujours plus à des enfants en proie au doute et se perd en exigences contradictoires.

Dans cette fresque incisive, la posture du cinéaste, elle, est celle d’un médiateur entre deux mondes. Aussi cruel que les personnages adultes, le réalisateur propose une mise en scène sadique, découpant en un nombre infini de plans l’odyssée d’Ahmad, la transformant en véritable supplice. Mais la caméra sait aussi se mettre au niveau des enfants, trouver avec eux une empathie que n’ont pas les adultes du film en prenant le temps de regarder les enfants. En arrêtant sa caméra sur Ahmad, sondant son visage et ses émotions au détour de chaque gros plan, entre chaque ordre d’adulte qui résonne hors-cadre comme un interdit divin, le cinéaste propose un film profondément empathique, un film qui a autant d’amour pour ces enfants qu’il n’a d’exigences envers eux. Partagé entre amour et exigence, Où est la maison de mon enfant est presque un traité d’éducation, interrogeant l’éducation populaire que prône le grand-père d’Ahmed pour qui « qui aime bien châtie bien« , tentant de prendre le parti des plus jeunes et de défendre leur innocence.

Film social à hauteur d’enfant, Où est la maison de mon ami est alors, métaphoriquement comme littéralement, un film dans lequel le jeune Ahmad doit trouver sa voie. Perdu par les adultes autour de lui, l’enfant n’a pour seul guide que sa boussole morale et son sens de la justice, mis à rude épreuve par les demandes impérieuses des adultes autour de lui. La résistance d’un sens de la justice pur et innocent qui structure l’intégralité du film, et qui trouve dans le dénouement de l’œuvre une très belle expression : celle d’une camaraderie sans failles, d’une solidarité fraternelle entre deux enfants et d’une empathie pour l’autre qui défie toutes les exigences des adultes. Le proverbe dit que la vérité est dans la bouche des enfants ; avec Où est la maison de mon ami, Kiarostami innove – car pour lui, ce qui est dans la bouche des enfants, c’est la justice. De quoi inviter les adultes à se questionner, et à prendre exemple sur les plus jeunes.

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RÉALISATEUR : Abbas Kiarostami
NATIONALITÉ : Iranienne
AVEC : Babek Ahmad Poor, Ahmed Ahmed Poor, Kheda Barech Defai
GENRE : Drame
DURÉE : 1h24
DISTRIBUTEUR : Carlotta Films
SORTIE LE 21 mars 1990 - Reprise le 2 juin 2021