Once upon a time in…Hollywood : il était une fois le cinéma

Le nouveau Tarantino, Once upon a time in…Hollywood, survient dans une période troublée, post #Metoo. A cette occasion, l’on a pu apprendre que Quentin Tarantino, qui était pourtant le cinéaste homme préféré de beaucoup de féministes, en raison de Jackie Brown, Kill Bill ou encore Boulevard de la Mort, ne s’était pas comporté de manière très exemplaire, préférant par lâcheté faire financer ses films de façon opportuniste par Harvey Weinstein que soutenir ses amies (Mira Sorvino, Uma Thurman, Rose McGowan, etc. ) qui se sont faites harceler par cet immonde personnage. On peut même se demander si cette période « féministe » qui a duré environ dix ans n’a pas existé par simple remords d’avoir laissé faire son ami producteur, sans rien dire. La manière dont Tarantino a également géré l’incident de la cascade forcée d’Uma Thurman sur le tournage de Kill Bill, ne se trouve pas non plus à son honneur, ce que Uma ne lui a jamais réellement pardonné. Quand on a donc appris que Quentin Tarantino se lançait pour son prochain film dans la recréation de l’affaire Tate-Manson en 1969, les craintes étaient assez immenses, concernant un possible nouveau dérapage.

Or le film ne prête pour ainsi dire pas le flanc de ce côté-là. En revanche, il laisse un goût doux-amer, concernant son élaboration scénaristique. On a ainsi l’impression de voir un collectionneur rassembler ses plus beaux vêtements ou ornements dans un souci maniaque et fétichiste de préservation. Pourtant ce film de Tarantino s’avère très personnel sur au moins deux points :

1) Il lui rappelle ses débuts à Hollywood dans les années 80 où il faisait équipe avec un certain Craig Hamann, employé comme Tarantino au vidéo-club de Hermosa Beach, près de Los Angeles, Video Archives. Craig Hamann était aussi à ses heures perdues cascadeur comme Cliff Booth dans Once Upon a time…On imagine donc sans peine que Tarantino s’est projeté avec Hamann dans le tandem Rick Dalton/Cliff Booth, l’acteur déchu et le cascadeur sans emploi, sorte de losers de l’industrie hollywoodienne.

2) Tarantino a toujours été un nostalgique. Depuis le début de sa carrière, il s’est évertué à recréer les films appartenant à certains genres, en y apportant à chaque fois sa griffe particulière : les films de gangsters (Reservoir Dogs, Pulp Fiction), de Blaxploitation (Jackie Brown), de kung-fu et/ou de sabre (Kill Bill 1 et 2), de courses-poursuites (Boulevard de la Mort), de guerre (Inglourious Basterds), de cow-boys (Django UnchainedLes Huit Salopards). Il fallait bien qu’il se retrouve un jour à vouloir réinventer les films sur le cinéma. Certains exemples de films sur le cinéma viennent ainsi à l’esprit : Les EnsorcelésHuit et demiLa Nuit Américaine, etc. Néanmoins il s’agit souvent de films axés sur la création artistique et mettant en vedette, les producteurs, les réalisateurs ou les stars. Chez Tarantino, ce sont les petits, les sans-grade qui prennent la lumière: les acteurs déclassés, les cascadeurs sans avenir. Tarantino recrée alors avec un soin maniaque tout un contexte et un décorum historiques. Il a toujours filmé avec un œil dans le rétroviseur. En témoignent ses bandes originales qui fourmillent de trouvailles musicales des années 50, 60, 70 et 80. En revanche, peu, voire pas du tout, de chansons récentes, pas d’électro, quasiment pas de rap, en dépit de la participation de RZA pour Kill Bill 2. David Fincher ou Paul Thomas Anderson ont bénéficié, quant à eux, de bandes originales bien plus contemporaines. Quentin, au contraire, a toujours vécu dans un rêve passéiste, quelle que soit l’époque de ses films.

En parlant de Dalton et Booth perdus devant le cinéma de la fin des années 60, c’est évidemment de lui, Quentin Tarantino, dont il parle, égaré devant un monde du cinéma qu’il ne comprend plus tout à fait, en l’absence d’un protecteur.

Or, s’il filme ces déclassés, Rick Dalton et Cliff Booth, au moment où la télévision semble prendre le pas sur le cinéma, c’est que cet état de fait à la fin des années 60 renvoie à un état présent, à la fin des années 2010, où Hollywood semble presque s’incarner aujourd’hui dans les séries télévisées, bien plus que dans le cinéma. Entouré désormais par les effets numériques et Netflix, Tarantino ne se reconnaît sans doute plus dans le cinéma contemporain. Lui, l’amoureux de la pellicule, a perdu successivement sa monteuse, Sally Menke et surtout son producteur de prédilection, Harvey Weinstein, qui le surprotégeait face à l’évolution inéluctable de son métier. En parlant de Dalton et Booth perdus devant le cinéma de la fin des années 60, c’est évidemment de lui, Quentin Tarantino, dont il parle, égaré devant un monde du cinéma qu’il ne comprend plus tout à fait, en l’absence d’un protecteur. De jeune rebelle, Tarantino est devenu un dinosaure, ce qu’il a forcément du mal à admettre.

Par conséquent, lui, l’architecte virtuose des constructions scénaristiques de Reservoir Dogs ou Pulp Fiction ne cherche plus à créer des structures aussi élaborées. Il laisse ses personnages en roue libre, l’un en tournage sur une série TV, l’autre égaré du côté de la ferme de la secte Manson, ainsi qu’une troisième, Sharon Tate, en contemplation de soi-même dans une salle de cinéma. C’est d’ailleurs ce troisième personnage, peu présent à l’écran, qui donne peut-être la clé du film : Tarantino se reflète dans cette histoire et tente d’y trouver une solution quant à son rapport désuet au cinéma américain et à la société d’aujourd’hui. Malheureusement, son art du scénario est un peu rouillé, ses dialogues nettement plus plan-plan. Paradoxalement, son succès de plus en plus unanime (aujourd’hui Tarantino n’a presque plus de détracteurs et bat des records en termes d’entrées) se double tristement d’un talent progressivement déclinant. Plus Tarantino est reconnu et ne cesse d’aligner les réussites commerciales (Inglourious BasterdsDjango UnchainedOnce upon a time…), plus les films se cachent derrière des sujets sérieux de dossiers, des budgets colossaux et des castings prestigieux, en lâchant du lest sur la qualité stylistique et scénaristique. Depuis Boulevard de la Mort, malgré quelques formidables étincelles, la comparaison est assez cruelle entre les premières et les dernières œuvres. Once upon a time…témoigne d’un beau regain de forme mais en dépit de ce sursaut, il se situe à peu près au même niveau qu’Inglourious Basterds et ne parvient pas à se placer dans les cinq premiers films de la filmographie de QT.

De plus, face aux féministes d’aujourd’hui, Tarantino sait parfaitement qu’il ne fera guère de vieux os. Boulevard de la mort a fait illusion mais on y entendait déjà de la part de Kim (Tracie Thoms) ces phrases hallucinantes, venant d’une femme : « je vais m’exploser les couilles dans cette salope. Je suis la plus grosse bite sur cette route« , indiquant qu’ainsi les rôles étaient inversés et que les femmes réagissaient avec agressivité comme les pires des hommes, et non comme des femmes. Tarantino, Reservoir Dogs ou Les Huit Salopards le montrent, n’a jamais été réellement féministe. Il était seulement amoureux de certaines femmes (Pam Grier, Uma Thurman) et/ou les envisageaient comme des tueuses (Boulevard de la mortKill Bill), pouvant se venger comme des hommes. Etre féministe, ce serait plutôt défendre toutes les femmes, y compris « les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf » (King Kong Théorie), comme dirait Virginie Despentes, et surtout les plus douces et les plus fragiles.  

Dans Once upon…on aperçoit à peine la Sharon Tate fictive, hormis dans la séquence de la séance de cinéma où Margot Robbie contemple à l’écran les vraies images de Sharon Tate qui lui ressemble assez peu au bout du compte. Si Sharon-Margot porte d’immenses lunettes, c’est parce qu’elle est surtout représentative de l’appétit cinéphilique dévorant de Tarantino. Elle réagit comme une gamine, enfant gâtée égarée dans un grandissime magasin de friandises. Hormis à ce moment précis, où il s’identifie à elle, pendant tout le reste du film, il ne cherche pas véritablement à en faire un personnage digne de notre sympathie ou tout au moins de notre attachement. Pourtant, grâce à une musique mélancolique qui démarre sur le dernier plan, évoquant Ennio Morricone, (il s’agit en fait de Miss Langtry de Maurice Jarre), Tarantino parvient au tout dernier moment, lors des deux dernières minutes, à rendre son film enfin émouvant, comme si cette musique servait à exprimer la mélancolie rétrospective de la fiction qu’il vient de nous raconter. Deux minutes d’émotion en bout de course…On comprendra que la comparaison avec Sergio Leone et son Il était une fois en Amérique, fresque cinématographique de près de quatre heures dédiée à la mélancolie, apparaît peu opérante. L’autre comparaison avec un deuxième géant du cinéma, Stanley Kubrick, sous prétexte que Tarantino, comme Kubrick, a revisité des genres, l’est encore bien moins, tant Tarantino semble engoncé tout du long de son œuvre dans une dimension outrancièrement référentielle et parodique. Excellent cinéaste de divertissement, Tarantino ne paraît pas à la hauteur de ces génies du Septième Art. Dans une interview, lors de la promotion de Boulevard de la mort, il expliquait vouloir tester à chaque fois ses limites, en espérant ne jamais les atteindre : « le talent de chacun est plafonné. Il arrive toujours un moment où l’on cogne contre ce plafond. Je n’essaie pas d’atteindre mon plafond : j’espère bien ne jamais le toucher. Mais je me mets sans cesse au défi de l’atteindre ! Quand ça arrivera, il sera temps pour moi d’être réaliste sur ce que je peux, ou ne peux pas faire. Temps de dire : ok, je ne vais pas plus loin« . C’est peut-être chose faite depuis quelques films. Tarantino ne pourra sans doute jamais atteindre la profondeur et la grandeur tragique d’un Leone ou d’un Kubrick.    

Par conséquent, à quoi bon continuer? Autant arrêter en pleine gloire, même si 56 ans est relativement jeune pour qu’un cinéaste prenne sa retraite. Tarantino a longtemps annoncé ne pas souhaiter faire plus de dix films. Il pourrait même partir prématurément à son neuvième. C’est le sens de ses interviews récentes où il estime être arrivé au bout de son chemin. En tant qu’historien potentiel du cinéma, il a minutieusement examiné les carrières des autres et considéré comme Brian De Palma qu' »un cinéaste fait ses meilleurs films à 30, 40, 50 ans« , et qu’ensuite il est préférable de tirer sa révérence. Bergman l’avait fait avec Fanny et Alexandre mais n’a finalement pas arrêté de tourner pour la télévision. Plus récemment, Lars Von Trier a également déclaré souhaiter arrêter mais tiendra-t-il parole? En ce qui concerne Tarantino, quantité de projets semblent naître autour de lui : Star TrekDjango rencontre ZorroKill Bill 3, etc. Il pourrait néanmoins faire aboutir ces projets en tant que producteur, sans avoir forcément besoin de les réaliser. Selon qu’on compte Kill Bill comme un seul opus ou deux films distincts, Tarantino aurait tourné neuf ou dix films. En théorie, Kill Bill a bien été conçu comme un film unique ; seule la trop longue durée du film a obligé à le couper en deux parties (volumes). Le suspense pourrait donc consister en cette fameuse dernière question qui ne trouvera peut-être jamais de réponse définitive : quand Quentin Tarantino tournera-t-il son dixième film? La meilleure réponse serait qu’il tourne enfin une nouvelle œuvre équivalente à Jackie Brown, de très loin à ce jour son plus beau film, une œuvre de maturité sur le temps qui passe, l’amour qui éclot et le vieillissement qui apaise, qu’il a tournée à 35 ans, et qu’il tournerait cette fois-ci à l’âge idéal et parfaitement synchrone de 60 ans, pour fêter ses trente ans de cinéma.

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RÉALISATEUR :  Quentin Tarantino
NATIONALITÉ : américaine 
AVEC : Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie 
GENRE : Drame, comédie 
DURÉE : 2h41 
DISTRIBUTEUR : Sony Pictures Releasing France 
SORTIE LE 14 août 2019