Nope : l’empire des signes

Jordan Peele, issu du duo comique Key et Peele, a connu une éclosion artistique absolument étonnante, le mettant en pleine lumière dès son premier film, Get Out, film d’horreur sur les tensions raciales, remportant un succès international ainsi que l’Oscar du meilleur scénario original en 2018. Us, quelques années plus tard, poursuivait dans cette voie en ajoutant le rapport entre classes sociales. Aujourd’hui, avec Nope, le cinéma de Jordan Peele mixe ici western et la science-fiction, intégrant les deux genres à son logiciel et connaît ainsi une mutation importante, le confrontant à ceux de Spielberg ou de Shyamalan, soit des maîtres du cinéma de grand spectacle et de divertissement. Jordan Peele parviendra-t-il à maintenir ses thématiques en changeant de braquet artistique?

Les habitants d’une vallée perdue au fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel. Depuis la mort insolite de leur père, O.J. et sa soeur Emerald, aussi volubile qu’il est taiseux, tentent de faire vivre tant bien que mal leur entreprise d’entraînement de chevaux. Ils finissent par en vendre à leur voisin, Ricky Jupe Park, propriétaire d’un parc d’attractions, Jupiter’s claim, sur le thème de la ruée vers l’or. Mais l’apparition d’un OVNI dans les nuages va changer la donne….

Nope tient son rang dans le rayon des divertissements de l’été, avec suffisamment de pistes narratives, pour maintenir l’intérêt envers des signes en pleine expansion.

Dans Nope, Jordan Peele a beaucoup travaillé les références, qu’elles soient attendues (Emerald rappelant qu’elle et son frère sont les descendants de Eadweard Muybridge, le premier cavalier noir de la photographie et du cinéma) ou plus incongrues (une chanson en français interprétée par Jodie Foster) et les métaphores décalées (Nope citant à foison les grands films d’OVNI de ces dernières décennies, de Rencontres du troisième type à Premier contact, en passant par Signes, voire Cowboys et envahisseurs). Très habile dans son scénario, Nope déconstruit les intrigues et s’avère riche en chausse-trapes et fausses pistes, multipliant les flash-backs traumatiques et les surgissements narratifs intempestifs. Cette densité fictionnelle procure une véritable richesse polyphonique au film. Néanmoins ce point fort de Nope peut également se transformer en un défaut presque rédhibitoire car, par rapport à ses films précédents, on s’attache moins aux protagonistes du nouveau film de Jordan Peele, tant celui-ci s’est attaché à bien échafauder les bases et les éléments de son dispositif formel.

On remarquera que Peele, dans la continuité de ses films précédents, continue à jouer la carte de la diversité, en mettant en avant des protagonistes ouvertement racisés, à l’opposé de la plupart des divertissements hollywoodiens. On notera également à son actif que l’essentiel de son film consistant à traquer l’image d’un OVNI se cachant dans les nuages, Peele a habilement replacé le schéma des Dents de la mer de Spielberg, film fondateur entre tous, l’ancêtre des blockbusters, dans le domaine du ciel. Cependant, hormis cette thématique de la toute-puissance sacro-sainte de l’image, il est permis de s’interroger sur ce que Peele souhaite nous communiquer à travers cette avalanche de métaphores, combinant histoire du cinéma, parc d’attractions, revanche du règne animal (chevaux domptés, chimpanzé devenu fou) et film d’horreur. Shyamalan? Vous avez dit Shyamalan? En effet, il semble que Peele, à travers ce film, partage (volontairement ou non) les caractéristiques de son illustre devancier dans l’univers du film d’horreur et de SF à grand spectacle, une virtuosité indéniable dans l’élaboration de séquences impressionnantes, une certaine vacuité dans le message, un flou artistique dans le conte crypté qui peut interroger mais aussi lasser. Plus son univers s’élargit, plus l’intérêt pour ses personnages s’affadit. Nope tient néanmoins efficacement son rang dans le rayon des divertissements de l’été, avec suffisamment de pistes narratives, pour maintenir l’intérêt envers des signes en pleine expansion.

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RÉALISATEUR :  Jordan Peele
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun
GENRE : Horreur, western, science-fiction 
DURÉE : 2h10 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 10 août 2022